lundi 29 juin 2015

De Jacaré au Brésil à Kourou en Guyane – 2/3

Le mercredi 10 juin 2015 – Rencontre à l’équateur

Temps de merde...
06H10 : Ça a été un temps de merde toute la nuit. Vent, pluie, vagues et froids, surtout vers la fin. Peu après le couvre-feu un de ces oiseaux mystérieux, de ceux qui viennent se percher la nuit sur les voiliers (60 cm d'envergure, marron-gris, tache blanche sur le front), est venu squatter le panneau solaire suspendu à tribord. Pour lui aussi la nuit a dû être longue !
Ce matin le soleil peine à percer les nuages et d'après ce que je peux en voir ce n'est pas fini. Sinon, route bonne, vitesse 4,5 nœuds... Normal, la mer est comme qui dirait agitée. Le régulateur a tenu le coup.

07H00 : Nous naviguons dans un banc de sargasses. Le vent vire à l'est, je lofe et je sors la moitié du foc. Malgré ça, on ne fait que quatre nœuds... Je vais essayer d’échapper au gros grain qui se présente, mais c'est pas gagné.

07H14 : Je crois que c'est ce que je déteste le plus en mer : La pétole dans une mer formée.

08H20 : Un habile changement de cap m'a permis d'éviter le grain, qui nous passe sur l'arrière sans pluie et sans accélération. Bravo Capitaine !

08H30 : Yes ! Un couple de paille-en-queue survole La Boiteuse ! J'adore ces oiseaux !

09H00 : 2,8 nœuds... C'est le courant qui nous fait avancer ! Malheureusement, je peux difficilement augmenter la vitesse en lâchant de la toile, puisque j'ai un grain très large qui se présente. Et celui-là je ne vais pas pouvoir l'éviter...

09H25 : Pffff... Tu parles Charles ! De la roupie de sansonnet ce grain ! Même pas 4,5 nœuds au surf ! C'est nul ! Si je veux avancer dans ce Pot-au-Noir je vais probablement devoir lofer un max afin de sortir le foc, et tirer plein nord. Oui, je crois que je vais faire ça.

12H20 : J'ai pris du retard à cause d'un grain, encore, que j'ai dû laisser passer. Petite moyenne : 4 nœuds depuis ce matin. On avance, c'est déjà ça. Tous les chiffres du clavier de mon PC, et certaines autres lettres, ne marchent plus. J'espère que ça ne veut pas dire que je vais devoir rajouter un ordinateur à la liste déjà longue des choses à acheter prochainement...

15H05 : Un gros grain vient de passer, laissant derrière lui une peu de vent et une mer chaotique. Je vois quelques poissons-volants qui s'envolent et quelques paille-en-queue qui plongent.
C'est bizarre la nature tout de même. Des poissons se prennent pour des oiseaux et des oiseaux aspirent à nager sous l'eau... Je ne sais pas vous, mais moi ça m'interpelle quelque part.

Yes ! (à cent mètre près on y est)
15H52 : Et voilà, La Boiteuse et son équipage viennent de traverser pour la deuxième fois l'équateur !
Je ne me souviens pas si il faut faire une fête pour une deuxième fois... Oui ? Non ? Bon tant pis, je préparerais quelque chose pour la troisième fois !
Donc oui, l'équateur franchi il reste encore 800 milles à faire. C'est à dire qu'on devrait arriver mercredi prochain, dans une semaine donc... Là tout de suite, ça donne moins envie de faire la fête !

16H45 : Encore un grain qui arrive... Depuis ce matin j'ai perdu le compte. En fait, depuis ce midi le vent a plus ou moins viré Est, ce qui me permet de faire de la bonne route avec les deux voiles. Lorsqu'un grain se présente, je remballe le foc et je présente mes fesses à l'orage... En règle générale, la survente me déporte vers l'Ouest. Et lorsque qu'elle est passé je remonte à 110° du vent apparent pour faire du Nord. On avance un peu (beaucoup) en zigzag, mais l'un dans l'autre on va dans la bonne direction. Comme dans la vie en fait.

17H45 : Cargo droit devant. C'est le premier depuis trois jours. Il a surgit d'un grain noir comme la nuit à trois milles de moi ! Heureusement, le Mer-Veille est toujours aussi efficace.

17H55 : Trop cool ! Alors que le porte-conteneurs passait près de moi, j'entends sa sirène qui résonne trois fois. Qu'est-ce qu'il se passe ? Je ne suis pas sur sa route pourtant ! Aussitôt je comprends et j'allume la VHF pour entendre une voix qui m'appelle : Sailing vessel... on my portside...
Oui ! C'est moi ! Salut copain ! What's up ? Rien, le type au bout des ondes avec son charmant accent asiatique veut juste savoir si tout va bien à bord et si je n'ai besoin de rien. Au début, je suis un peu scié par tant de considération de la part de ce monstre à moteur pour ma petite embarcation à voile, puis on se met à papoter. Tout va bien chez vous aussi ? Ouais, pas facile cette mer... Et vous allez où ? Etc... J'en profite pour lui demander des infos sur la météo, et il me répond que ce que je traverse devrait se finir demain. Chouette ! Trop cool ! Merci à toi Ô marin asiatique de quart sur ta grosse machine, et bon vent à toi !

18H00 : 4 nœuds encore, de moyenne pour cet après-midi. Demain ça ira mieux il a dit le monsieur.

18H00 : Nom de dieu de bordel de merde ! Salope de chatte ! Elle vient de bondir comme une folle pour faire le tour du pont à la recherche de poissons-volants ! Je lui ai couru après, mais la garce était surexcitée. Elle a même sauté sur la bôme alors que La Boiteuse roule comme une barrique ! Putain, la trouille... Du coup, une fessée et au lit !

Le jeudi 11 juin 2015 – Des espoirs

05H30 : Dès que la nuit c'est installée, le vent s'est installé lui aussi. Nous avons dû faire de la route. Peut-être un peu trop d'ouest sans doute... On verra tout à l'heure. Je n'ai pas compté le nombre de fois où j'ai dû remballer toute ma literie pour me mettre sous l'abri dérisoire de la capote. Quatre, cinq, six fois, la pluie m'a réveillé, et m'a obligé à me rendormir dans un duvet toujours un peu plus mouillé.
Mais ce matin c'est relativement dégagé. Le soleil va apparaître, et le panneau solaire va pouvoir tenter de rattraper sa diète d'hier (Seulement huit ampères chargés). Le cockpit est parsemé de grosses tâches de merde d'oiseau... Il y en a qui ont pris leurs aises cette nuit.

06H05 : C'est pas trop mal. 53 milles en douze heures, à 4,4 nœuds au 296°. Ça aurait pu être pire. A moi maintenant de rattraper ça en optimisant la vitesse et le cap.

Miam !
06H30 : Inspection du pont et du gréement, RAS. J'ai trouvé un poisson-volant d'une vingtaine de centimètre. Touline se régale !

07H00 : On a une putain de houle croisée bien vicieuse...

08H00 : 750 milles de parcourus en six jours... En théorie on a fait la moitié du parcours. Dans ma tête je prévois d'arriver dans la journée de mercredi prochain (le 17/06). Mais cela va dépendre aussi des horaires de marées. Il y a trente milles à faire le long du Maroni avant de pouvoir rejoindre St Laurent, et il faudra que cela se fasse de jour et par marée montante. Bon, de toute façon on n'y est pas encore. Je m'en préoccuperais le moment venu.

09H30 : L'océan s'est peu à peu organisé sous une petite brise du ENE. La Boiteuse avance au presque travers avec le foc quasi déployé. J'essaye de maintenir les cinq nœuds de rigueur, mais j'ai du mal... En attendant, le bateau n'a jamais été aussi confortable ! Quelques traînées nuageuses mais rien de menaçant, il fait un très beau temps. Le monsieur du cargo avait raison !

11H10 : Pffff... Le vent baisse et on se traîne un peu. En plus, avec la chaleur des grains sont en train de se former à l'horizon.

12H00 : Que vous dire ? On avance en louvoyant entre les trajectoires supposées des cumulus. 4,5 nœuds de moyenne sur six heures.

15H10 : Après avoir passé la journée à éviter les orages avec succès, celui qui arrive va avoir sa revanche. J'ai remballé le foc et je fais dos à la bête. Il m'a l'air costaud...

Un grain parmi beaucoup
15H45 : D'abord le vent, fort, très fort (30 nœuds). Cela dure cinq à dix minutes. Puis vient ka pluie, forte, très forte. Des trombes d'eau aplatissent la mer, qui quelques minutes plus tôt, se soulevait sous l'action du vent. Puis enfin tout s'arrête. On est dans un moment de rien où pas un souffle d'air ne vient organiser une mer chaotique. Les nuages s'étirent puis dévoilent de plus en plus de bleu. Et la brise revient. Voilà, c'est fini, il est temps de remettre le bateau sur sa route.

16H00 : Mouais... Sur ce coup-là le ciel bleu, je ne l'aurais pas vu longtemps ! C'est couvert de chez couvert jusqu’à l'horizon.

16H20 : Un cargo m'arrive par l'arrière. J'allume ma radio au cas où le marin de quart aurait envie de faire causette.

18H00 : Petite moyenne cet après-midi. Seulement 4,4 nœuds. J'espère que la brise se lèvera avec la nuit. Ce qui m'ennuie c'est que nous n'avons pas eu beaucoup de soleil pour charger les batteries. Là encore, j'espère que demain il fera beau. Ce n'est que ça la vie finalement, une succession d'espoirs.

Le vendredi 12 juin 2015 - Routine

Au large de l'Amazone
06H00 : Bonjours ! Petite nuit question route, 3,9 nœuds de moyenne, mais grosse nuit question sommeil. Je n'ai été réveillé qu'une fois vers 00H30 par un grain que j'ai encaissé avec la méthode décrite hier, sinon rien. La Boiteuse a progressé de presque cinquante milles au 312°...
Ah ouais, pour info on attaque l’embouchure de l'Amazone. A 250 milles au large, normalement ses effets ne devraient pas se faire sentir. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je crois qu'il est bon de rappeler quelques repères géographiques de temps en temps...
L'Amazone les mecs ! Oh ! Vous vous rendez compte ???

07H55 : Alors qu'un gros-gros nuage s'approche de La Boiteuse par le travers, une troupe nombreuse de dauphins vient caracoler autour de nous. J'ai un œil sur le nuage et l'autre sur nos visiteurs. Ah au fait, il est huit heures et ça fait une semaine qu'on est en mer.

08H30 : Je viens de finir Raz de marée de Clive Cussler. Un bon pavé bien divertissant.

09H35 : C'est une matinée gris-bleue. L'océan lui, est d'inox. On avance à 4 nœuds, autant dire qu'un se traîne. Non ! Ne disons pas ça!En d'autres temps et d'autres lieux, 4 nœuds m'auraient ravi !
J'ai relevé la ligne de traîne. Il y a beaucoup trop de sargasse et la ligne se prend dedans toutes les cinq minutes.

12H00 : La pire moyenne journalière depuis le départ... 97 milles exactement. C'est agréable d'accord, mais c'est aussi un peu désespérant. Peut-être que le gros front nuageux qui arrive va nous pousser un peu ?

12H25 : J'ai juste le temps d'avaler un peu de cette délicieuse conserve de poisson au curry que m'ont offert Bertie et Teresa (un couple charmant de sud-africains rencontré à Jacaré), avant que le grain n'arrive. Je me suis régalé, même si j'ai dû l'avaler un peu vite à mon goût.

12H40 : Le voilà le bougre !

Après il faut sécher...
13H30 : Le grain en lui-même n'avait rien d'extraordinaire, sauf qu'il a été long à traverser. Ce qui est bien c'est qu'il laisse derrière lui une bonne petite brise qui nous fait avancer à 6 nœuds par le travers.

14H00 : Ça y est, la lune de miel avec le vent est terminée... On a de nouveau l'impression d'avancer au ralenti sur un vieux chemin de terre plein d'ornières et de nids de poule.

16H10 : Parlons un peu de la Guyane. Vous l'avez peut-être senti, si je m'y arrête c'est un peu par obligation. J'y vais surtout pour remettre les compteurs à zéro pour mon passeport, et peut-être aussi essayer de changer de banque. A part ça... Comme je l'ai écrit un jour, la Guyane c'est un peu tout pourri.
Mais au delà de ça, je crois aussi que j'appréhende de me retrouver en « France »... Ou du moins dans une de ces parties extérieures de la France, délaissées et peu glorieuses. La vie y est chère. Les gens, dit-on, pas très aimables. Le bassin de navigation pourrave... M'enfin, on verra bien.
Et puis il n'y a pas de marina en Guyane ! C'est quand même dingue ça ! Alors que dans le pays d'à côté, le Suriname dont le PNB ne dépasse pas les dépenses de fonctionnement de la ville de Paris, ils en ont deux de marinas !

18H00 : 4,19 nœuds de moyenne. J'enrage ! Non, je suis résigné plutôt. Ce sont les aléas de la mer... Une bonne chose est que le soleil se couche de plus en plus tard au fur et à mesure que nous allons vers l'ouest. J'apprécie beaucoup qu'il ne fasse plus nuit à partir de cinq heures du soir. Là, le soleil n'est pas visible à cause d'un énorme grain qui vient de nous passer sur l'arrière. Mais je sais qu'il est encore là...
Pour l'heure, je me pose la question de savoir quelle configuration de voiles et quel cap je vais adopter pour la nuit. J'arrive à faire, péniblement, route avec mon foc en grand et ma GV, mais j'ai un peu peur de me faire surprendre dans mon sommeil par un grain. Ok, je vais réduire un peu l'avant et abattre de quelques degrés. Tant pis si je perds en vitesse et en cap, mais ce sera plus prudent.

Le samedi 13 juin 2015 – Routine, encore

La Boiteuse dans ses œuvres
06H30 : Ce fut une nuit pas mal compliquée... D'abord, en première partie, j'ai eu du mal à trouver le sommeil car j'ai eu des crampes dans les jambes. Et puis vers 23H00 les grains ont commencés... Et pas des petits. Le plus violent ça a été vers trois heures du matin. Équivalent à la raclée que j'ai prise il y a quelques mois en face de Vitoria. Et depuis, ça n'arrête pas de piauler sévère. Tout est trempé. Le pire c'est que les orages s’enchaînent avec seulement quelques minutes de répit. Quelques minutes pendant lesquelles il n'y a pas un souffle d'air et que la mer est chaotique... Et puis bam, ça recommence ! Du coup j'ai raté le point de six heures.

06H45 : Fffiou... On vient encore de s'en prendre un, je ne vous raconte pas. Le pire c'est depuis cette nuit ces grains ne se déroulent pas en deux temps, comme je vous l'ai décrit, mais que le vent et la pluie arrivent en même temps. C'est flippant. Je commence à en avoir ma claque de ce putain de Pot au Noir.

07H10 : Ça-y-est, j'ai fait le point. Comme je m'en doutais, les grains nous ont poussé vers le nord. Dans un certain sens, ce n'est pas plus mal puisque cela nous fera sortir plus tôt du Pot au Noir. J'ai calculé qu'il nous reste environ 150 milles avant d'en voir le bout, et de rencontrer les alizées du nord-est. Soit normalement dimanche soir, au plus tard lundi matin. Allez mon Gwen, accroche-toi, c'est bientôt fini.

10H30 : J'ai dormi une heure... Ça fait du bien. C'est un pâle rayon de soleil qui m'a réveillé... mais il a disparu à peine avais-je commencé à m'en réjouir.

11H35 : Depuis ce matin nous ne rencontrons pas de grain, mais une longue et interminable série de nuages gris. Les houles croisées nous font une mer de merde... On doit faire du quatre nœuds je pense. J'ai comme un léger mal de mer en plus.

12H00 : J'avais raison, 4 nœuds depuis ce matin. Au 315°. Difficile d'aller plus vite sans relâcher le ris de la Grand-Voile. Mais ça, je ne veux pas m'y risquer. Même si je n'en vois pas arriver, là tout de suite, on risque de se prendre un grain sur la tronche.

13H50 : On est dans une zone un peu bizarre... Le vent a baissé, et pourtant la houle a grossi. Les deux houles qui se croisent je veux dire. Celle qui vient de l'Est et celle qui vient du Sud-est. Par moment on a des creux de quatre mètres facile, mais il ne semble y avoir aucun ordre à tout ça. La Boiteuse est secouée dans tous les sens.

C'est ça le Pot au Noir
14H50 : La mer s'est un peu calmée et j'ai réussi à augmenter un peu la vitesse (un petit peu !). Quand je regarde le GPS, je me dis qu'on doit avoir un courant contraire... Sinon, la bonne nouvelle est (j'ose à peine l'écrire), qu'il fait un temps splendide ! Pas un cumulus à l'horizon et plein de cirrus dans le ciel. Serait-ce la fin du Pot au Noir ?

16H55 : L'après-midi touche à sa fin et je crois pouvoir dire que ça s'est bien passé. Bau temps, pas de grain... Seule la vitesse laisse à désirer, mais vu les jours précédents c'est un peu le cadet de me soucis. On arrivera jeudi au lieu de mercredi, et alors ?

18H00 : Et bien voilà, 3,9 nœuds sur six heures, ce n'est pas très glorieux. Il reste 500 milles à faire. J'observe d'énormes cumulus (mais vraiment énormes) qui m'arrivent par le travers. Je sens que la nuit va être compliquée... Non, le Pot-au-Noir n'est pas mort, il bouge encore !

18H50 : Je suis inquiet, je trouve mon feu arrière un peu faiblard... Pourtant la charge des batteries me semble correcte. Demain, si je peux, je vais faire tourner le moteur.

18H55 : J'étais trop inquiet. Du coup, j'ai démarré Mercedes qui est partie eu quart de tour. Les batteries chargent, par contre le feu arrière est toujours faiblard. Ce n'est donc pas un problème de batterie, mais de lampe. Ça me rassure quelque part.

20H35 : Voilà, j'ai réglé le problème. J'ai « emprunté » une des leds de la cuisine pour l'installer sur le feu arrière et tout est rentré dans l'ordre. Dodo maintenant.

Le dimanche 14 juin 2015 - Merdier

Matin
06H00 : Piètre nuit. Seulement 45 milles de parcourus avec une dérive vers le nord... Ce qui n'était qu'un soupçon hier m’apparaît aujourd'hui comme une évidence : On est dans une veine de courant contraire.
Pourquoi je dis ça ? Parce que, étant donné les conditions de vent et de vagues on devrait faire des surfs à plus de 6,5 nœuds, alors que atteignons péniblement les cinq. Donc, la mission du jour c'est d'abattre et de se rapprocher de la côte afin de retrouver le courant favorable. Et accessoirement sortir enfin de ce fucking de Pot au Noir.

08H10 : Je viens de finir Objectif Paris, de Robert Ludlum. Le polar américain où les français sont les méchants.

09H35 : Nous naviguons sur une mer improbable où les vagues semblent provenir de trois directions différentes. Ça chahute pas mal, mais on avance quand même. Parfois La Boiteuse part au surf et lorsqu'elle s'arrête le GPS indique 1,5 Nds... C'est du costaud le courant qu'on a dans le nez. Si il n'y avait pas ce vent soutenu et cette houle, on reculerait.

Pas sûr qu'elle arrive à me pardonner !
12H00 : La situation est celle-ci. Depuis ce matin nous avançons à 3,8 nœuds au 312°au grand largue, et pour bien faire il nous faudrait faire un 290°... Mais je ne peux pas parce que je suis déjà à la limite du déventement du foc, et que c'est lui qui nous fait avancer. Nous ne sommes plus qu'à une cinquantaine de milles de la fin supposée du Pot au Noir.
Pour l'instant je décide de rester comme ça en espérant sortir bientôt de ce putain de courant contraire qui soulève en ce moment des vagues de quatre mètres qui déferlent pas l'arrière et par tribord. Quand ce n'est pas les deux en même temps... Je préfère ne pas faire de prognostique d'arrivée pour l'instant, car tout va dépendre du temps qu'on va mettre pour sortir de ce merdier. La bonne nouvelle toutefois, c'est que pour l'instant on a beau temps ! Mais comme j'ai décidé d'être pessimiste aujourd'hui, j'ajouterais que ça m'étonnerais que ça dure...

13H15 : D'un point de vue géographique je crois que je me trouve exactement à la convergence entre deux systèmes. Pile à l'endroit où la grosse houle de l’hémisphère nord rencontre celle venue de l’hémisphère sud. Cela expliquerait tout ce gymkhana, les courants dans tous les sens, etc... Mais putain j'ai hâte que ça s'arrête ! Demain, si tout va bien.

Vers l'Ouest
16H10 : Quand je pense que je considérais cette nave comme facile ! C'était bien méconnaître mon sujet ! Une belle leçon d'humilité dans ta face Gwendal !...

18H00 : Il reste 430 milles à faire, et je doute qu'on y parvienne avant jeudi matin... Quoique, si on met un coup de cravache demain quand on sera sorti du merdier, pourquoi pas ?

18H20 : Euh... Je ne voudrais pas vous donner de faux espoirs, mais j'ai l'impression qu'on est en train d’accélérer. 

Ombre chinoise

Après dix jours de mer...

vendredi 26 juin 2015

De Jacaré au Brésil à Kourou en Guyane – 1/3

05°08.874N 52°38.822W
Kourou, Guyane Française

Prologue :

Nous sommes le jeudi 04 juin 2015, il est 09H00 et ça y est, c'est le départ. La météo est prise, la Boiteuse est prête, et il ne reste plus qu'à démarrer le moteur pour y aller. Mais avant ça il faut mettre la main sur Touline... Cette satanée chatte était là il y a moins d'une heure, assise sur le ponton en train de me regarder m'affairer. Mais depuis je ne la vois plus... J'appelle, je siffle, je tape dans mes mains, j'agite même un paquet de croquette mais cela ne sert à rien. Pourtant je sais bien qu'elle est là quelque part la garce ! Elle m'observe tapie dans l'ombre ! Elle se dit certainement :  « Tu peux toujours courir mon bonhomme ! »
Le temps passe et la marée basse est à 11H30. J'ai encore un peu de temps devant moi...

10H30 : J'abandonne ! J'en ai plein le cul et il fait trop chaud. Moi je suis là à arpenter les pontons alors que je suis sûr que Madame est en train de roupiller quelque part à l'ombre !
Et puis de toute façon, partir aujourd'hui ou demain cela ne change pas grand chose du point de vue de la météo.

Le vendredi 05 juin 2015 – On y go !

06H45 : Ce matin encore Touline a voulu jouer la fille de l'air ! Elle est allé se planquer sur un bateau, où j'ai dû aller la dénicher au risque de tomber à l'eau. Puis j'ai dû ruser en faisant mine de vouloir jouer avec elle en lui jetant des noix (du Brésil of course !), pour enfin la plaquer au sol dans l'herbe couverte de rosée !
Bon, la bête est incarcérée dans les toilettes et il ne pleut pas donc a priori je vais pouvoir partir.

Adieu Jacaré !
08H00 : La Boiteuse décolle doucement du ponton de Jacaré après que quelques voisins m'aient gentiment largué les amarres. Il y a peu de vent mais nous descendons le fleuve à plus de six nœuds sous un magnifique soleil. Je libère Touline qui se réfugie dans l'équipet tribord. C'est clair, elle tire la tronche.

08H50 : Nous sortons du fleuve. A première vue, dehors c'est également la pétole...

09H00 : Sans être particulièrement inquiet (pour l'instant), je trouve que mon arbre d'hélice fait un drôle de bruit. En tout cas différent d'avant je veux dire... J'ai regardé mais rien de bizarre ne m'a sauté aux yeux.

09H20 : J'arrête le moteur. Cap au 40°, toutes voiles dehors. La Boiteuse glisse doucement dans le silence et nous gratifie d'un splendide 2,5 nœuds !
C'est super-plaisant, mais je vois déjà le premier grain qui se présente à l'Est. Quelque chose me dit qu'il va falloir que je réduise la voilure...
Fier comme un Capitaine !

09H50 : Je viens de me faire une petite suée ! Pour prévenir le grain qui arrive, j'ai décidé d'enrouler le foc et c'est là qu'il s'est bloqué ce con ! Putain, je ne vous dit pas le stress que c'est quand vous devez vous escrimer à défaire un sac de nœuds et qu'une grosse nuée sombre s'approche de vous à la vitesse grand V !!! Mais bon, j'y suis arrivé... Il peut tomber le ciel, je suis prêt.

10H10 : Voilà, c'est passé. Le premier grain de cette navigation ! Il a dû faire un bon 30 nœuds pendant quelques minutes, puis les vannes du ciel se sont ouvertes. Et maintenant c'est de nouveau grand beau et... pétole ! On est tranquille jusqu'au prochain grain que je vois déjà se profiler. Heureusement, le courant est avec nous, et même avec les voiles qui battent nous faisons entre 1,5 et 2 nœuds. Ça c'est cool !

Transport en commun
10H45 : Le stress du départ est en train de retomber peu à peu, et j'ai comme une furieuse envie de dormir. D'abord, virer Touline de la banquette sous le vent. Puis fermer les yeux...

11H15 : Yes ! Voilà un peu de vent ! On accélère à 3,5 nœuds ! Pour fêter ça, je décide de me caler l'estomac avec une poignée de noix de Cajou. J'en ai acheté deux kilos au marché de Joao Pessoa ! (il ne m'en reste plus qu'un pour la nave...)

13H30 : Ah ! J'aborde le rail des cargos. Heureusement que je viens de me réveiller parce que y'a du monde sur l'eau.

15H00 : Pour l'instant je continue à faire route au 40° (plus ou moins) afin de m'écarter de la côte et de ces fichus cargos. C'est un vrai défilé ! Si je veux pouvoir dormir cette nuit il faudrait que je m'éloigne à au moins 10 milles du rail.

15H30 : Au fait, je me rends compte que je ne vous ai pas décrit la navigation à venir ! C'est bête, j'aurais dû commencer par ça...
Alors, nous sommes en route pour une nave de 1500 milles qui devrait nous amener à St-Laurent du Maroni, en Guyane Française. 1500 milles, c'est en gros la distance qui relie le Cap Vert à Jacaré autant dire que je m’apprête à me taper une deuxième transat. Sauf que celle-ci devrait être considérablement plus rapide ! En effet, les vents sont constamment au portant et les courants favorables. Donc a priori cela devrait nous prendre une petite quinzaine de jours... Enfin, j'espère !

Tu fais la gueule ?
15H45 : Pardon, je me suis interrompu car nous avons eu la visite d'une bande de dauphins !
Où en étais-je ? Ah oui, une quinzaine de jours donc, au lieu de vingt-trois. La seconde plus longue nave de mon histoire maritime. Mais, et cela peut vous paraître bizarre, je n'appréhende pas vraiment cet épisode... Sans doute parce que j'y pense depuis plusieurs années maintenant. Cela doit être fait, c'est un peu comme un passage obligé, alors je l'envisage avec fatalisme plutôt que peur, enthousiasme ou je ne sais quels autres sentiments. Je suis clair ou pas ?

16H05 : Et merdouille voilà encore un grain.

16H15 : La Boiteuse file avec un double arc en ciel aux fesses !!! Et les dauphins s'éclatent !

16H40 : Décidément, les grains s’enchaînent les uns après les autres. J'essaye de les éviter autant que possible, mais sur la quantité (j'en vois quatre tout autour de moi), il faut bien que je m'en prenne un de temps en temps. Heureusement, nous sommes à 100° du vent apparent et La Boiteuse encaisse les surventes avec la GV hautes.

Arc dans le Ciel
17H10 : Le soleil a disparu derrière l'horizon, et dans quelques minutes il fera nuit noire. Heureusement la lune ne devrait pas trop tarder... Je profite des derniers grains de lumière pour établir la route à suivre pour la nuit. 130° du vent, cap au Nord. On « avance » à 3,5 nœuds, avec les voiles qui battent que c'en est un crève-cœur.
Franchement, je pensais qu'on irait bien plus vite...

18H00 : Une brise nocturne s'est levée. Voilà qui devrait faire remonter une moyenne qui pour l'instant n'est pas fameuse. 3,6 Nds et 35 milles de parcourus depuis ce matin huit heures. En clair, c'est nul.
Allez, j'ai une saucisse/pâtes sur le feu et des gargouillis dans l'estomac ! Donc, je vous laisse. A demain !

Le samedi 06 juin 2015 – Ça se complique !

05H30 : La nuit a été compliquée... Beaucoup de cargos en première partie, puis un gros grain vers deux heures du matin. Ensuite, après quelques longues minutes de pétole, le vent s'est installé frais au SSE. Et là pour le coût on a tracé ! Le GPS me dit qu'à un moment on a fait un surf à 9,7 nœuds. Je pense que j'ai réussi un cap correct même si les grains m'ont sans doute un peu écarté de la côte (ce qui n'est pas plus mal). On verra ce qu'il en est tout à l'heure.

06H00 : La route est parfaite (Plein Nord), et la moyenne est remontée à 4,1 nœuds. 55 milles sur les dernières douze heures. Ça commence à ressembler à quelque chose cette nave !
Nous venons de doubler Natal à 25 milles au large. Même si la ville n'est pas visible j'agite quand même le bras. Coucou Sandrine !
Pour bien faire, il faudrait que je commence à abattre, mais pour l'instant la mer est un peu trop agitée pour que j'aille faire le clown sur le pont avec le tangon. On verra plus tard.

07H05 : Alors que le troisième grain de la journée se présente, et qu'il pleut des cordes, je vois du coin de l’œil la ligne de traîne se tendre subitement. Ça mord ! Cela ne fait même pas une demi-heure que la ligne est à l'eau et j'ai déjà une touche ! (C'est Caroline du Capsun qui va être verte !) On dirait que c'est un thon...
C'est donc sous la pluie que je me mets à hisser ma prise, et effectivement il s'agit d'un thon rouge de trois kilos. De quoi assurer au moins deux jours de bouffe !
Je vais attendre une accalmie pour m'en occuper, mais je prends quand même le temps de lui découper la queue afin de la donner en pâture à l'équipage. Bon appétit Touline !

Miam !
08H45 : Et voilà ! La pêche a été grossièrement équarrie et j'ai pu en tirer quatre gros filets de chaire bien rouge. Sinon, le petit rayon de soleil qui a accompagnée cette séance plutôt sanglante aura été de courte durée. Les orages s’enchaînent les uns après les autres.

09H10 : Petite pause entre deux grains. Le dernier m'a fait aller jusqu'à 7,5 nœuds de vitesse fond. Ça commence à faire beaucoup... Le prochain grain sera là dans dix ou quinze minutes, alors j'en profite pour manger une banane.

09H25 : Et c'est reparti ! 10,6 nœuds au surf ! Ok, là je commence à me faire peur. Dès que ça se calme, je prends un ris.

Il y a de quoi faire !
11H15 : Pas vraiment d'accalmie pour l'instant. Le vent souffle frais (5-6 Beaufort) J'ai réussi à dormir quelques minutes. Là je viens de prendre le ris dont je vous parlais tout à l'heure. Ça a été mouvementé, mais je connais bien la manœuvre maintenant, alors cela n'a pas duré longtemps. La Boiteuse file ses six nœuds. C'est chaud.

11H45 : Bon ben les enfants, j'ai été bien avisé de le prendre ce ris... car pendant quelques minutes ça a été chaud brûlant. Le genre de moment où vous vous demandez ce que vous foutez là. Le genre de moment où une maison en pierre plantée au milieu des arbres à cent lieues de l'océan vous semble être le havre de paix que vous recherchez tant... Et puis la minute d'après les choses se calment, deviennent gérables. Vous n'êtes plus ce fétu ballotté par les éléments déchaînés. Vous redevenez ce marin en quête d'un future possible, qui remonte vers le nord avec sa maison qui flotte.

12H00 : Comme je m'en doutais, et vous aussi sans doute, on a bien avancé ce matin. 5,6 nœuds sur six heures ! C'est pas mal du tout, mais je trouve que c'est une maigre contrepartie par rapport à l'inconfort et aux risques encourus en navigant avec une GV haute par ce temps. Franchement, avec un ris pris La Boiteuse avance peut-être moins vite, mais elle reste autrement plus maniable.
Sinon dans 25 milles il sera temps d'arrêter de faire du Nord et de prendre un cap au 300° sur un long bord de... Je ne sais pas... 1120 milles jusqu'en Guyane !

12H20 : Ça existe les fous blancs ?

13H50 : Je viens de finir Le formidable événement. Vous saviez que Maurice Leblanc avait écrit de la science-fiction ?



14H50 : Et merde... Voilà le boulon du régulateur qui a pété. Encore !

15H20 : Ouf ! Là les enfants on a eu chaud ! Un boulon pété, ça m'est arrivé lors de ma dernière nave, donc je connais la procédure. Je prépare les pièces et les outils, et je m'équipe de mon gilet afin de pouvoir m'attacher. Alors que je suis à cheval sur le bâti en train de visser l'écrou, la pale immergée est subitement et violemment rabattue sur le côté opposé. J'entends un bruit sec. La deuxième jambe du régulateur d'allure vient de casser net, juste sous mes yeux !

Putain de dieu ! Je suis assis sur un truc qui ne tient que par l'écrou que je suis en train de visser !!!

S'en suit alors un flottement. Je m'emmêle un peu les pinceaux dans les longes de mon gilet de sauvetage et je perds un temps infini à essayer de m'en dépêtrer. Énervé, j'enlève ce foutu gilet qui ne fait que me gêner, et je le balance avec rage dans la descente. Il est temps d'être efficace et d'agir !
Première chose à faire, brancher le pilote électrique. Parce que là, La Boiteuse est en train de partir un peu dans tous les sens. Et avec trois mètres de creux ça peu devenir scabreux.
Deuxième chose à faire, haubaner le régul' sur le portique avant que la dernière jambe ne casse à son tour et que tout le bordel tombe à l'eau.
Enfin, terminer de visser le dernier boulon qui reste.

Voilà, c'est fait. Je vais pouvoir encaisser le prochain grain. J'espère que ça tiendra... parce qu'il y a encore un grain qui arrive. Je suis crevé.

17H15 : Vous pensiez que j'allais pouvoir me reposer ? Et bien non ! Il a fallut que j'aille changer une poulie-guide de la drosse d'enrouleur de foc. Pas aussi scabreux que pour le régulateur, mais ça m'a pris du temps.
Le soleil ne va pas tarder à se coucher. J'espère qu'on en a fini avec la casse pour aujourd'hui, parce que là je crois que j'ai eu ma dose.

17H15 : Bonne nouvelle, on dirait que c'est en train de se calmer. La Boiteuse file toujours pleine balle mais la mer est moins agitée.

18H00 : Point du soir (Bonsoir). Six nœuds de moyenne sur les six dernières heures. Cap au 320° au lieu de 300°... Pour l'instant je vais rester avec seulement la Grand Voile, mais demain il faudra sans doute que je tangonne.
Je suis exténué. Il faudrait que je mange, mais je n'ai vraiment pas faim... J'espère que le thon sera encore bon demain parce que sinon je l'aurais attrapé pour rien.

Le dimanche 07 juin 2015 – Une belle journée

05H15 : Hier au soir je me suis un peu écroulé comme qui dirait. J'ai dormi une heure, puis par acquis de conscience je me suis avalé un bol de nouille. Vers 21H00 c'est une survente qui m'a de nouveau réveillé et la pluie qui m'a maintenu en éveil jusqu'à minuit. La pluie... A 140° du vent il est impossible de s'en protéger. Tout était trempé, j'avais froid... Je me suis finalement résolu à ressortir mon vieux duvet de l'armée, et ça a été un peu mieux. Puis, les cargos m'ont laissé tranquille ce qui fait que j'ai pu dormir quasiment jusqu'au matin.
A vue de nez, la route n'a pas été fameuse. Je vais devoir corriger ça pendant la journée. Dans la nuit j'ai finalement enroulé le foc pour n'avancer que sous GV seule... Je ne pense pas qu'il y ait grande différence.

05H30 : Le soleil se lève sur le premier grain de la journée...

06H00 : C'est cool ! En fait on a fait plus d'Ouest que je ne le pensais. J’abats tout de même de 20°. 62 milles en douze heures, ça fait un peu plus de cinq nœuds. La vitesse moyenne est maintenant de 4,9. Le temps est beau et la mer pas trop formée. Pourvu que ça dure !

08H00 : C'est un vrai plaisir que de naviguer ce matin.On fait nos 5 nœuds tranquillou, plein vent arrière. La Boiteuse roule un peu, mais c'est moins violent que sous des allures moins portantes. Pas un grain à l'horizon... Bref, cette nave « facile » que j'appelais de mes vœux est enfin là ! Si seulement cela pouvait être comme ça pendant les dix jours qui viennent... Et oui, on va en avoir pour dix jours, à ce rythme, pour rejoindre la frontière avec la Guyane ! Plus deux jours pour rallier St Laurent du Maroni. Je m'ennuie déjà rien que d'y penser...
Tien, dans la série cinq fruits et légumes par semaine, je vais me manger une papaye !

10H40 : Je reviens d'une tournée d'inspection sur le pont. Tout à l'air en ordre, à part mon palan pour l'annexe qui s'était décroché, et que j'ai dû récupérer emmêlé dans les haubans. Pour le reste : RAS. Idem pour le régulateur qui travaille au minimum étant donné qu'on est au vent arrière.

11H35 : J'ai faim... Malheureusement, le thon d'hier dégage une odeur pas très catholique et j'ai dû le balancer par dessus bord. Ce sera donc une feijoada en boite.

12H00 : La Boiteuse roule comme une horloge. Pile cinq nœuds sur six heures, et le vent a même adonné un poil afin que nous fassions une route parfaite au 300°. Plus mieux, je vois pas !

14H40 : Cela fait deux jours que nous sommes partis, et je commence déjà à fantasmer sur mon arrivée... C'est prématuré non ? Bon ok, je vais essayer de ne pas trop y penser pour l'instant.

15H15 : Voilà les dauphins !


17H05 : Je viens de terminer « Le brave soldat Chvéïck » de Jaroslav Hašek, et en même temps je me rends compte qu'il fait encore jour... Il est vrai que nous faisons un peu d'Ouest quand même.

18H00 : Le vent a un peu faibli tout au long de l'après midi mais nous avons quand même fait nos 4,7 nœuds de moyenne. L'un dans l'autre on se maintient à un 120 milles par jour, et ça me rend tout content !

18H50 : J'ai dîné de mon sempiternel bol de nouille. Peu après, j'ai éteint les feux de position pendant quelques minutes afin de profiter de la nuit. Les seules lumières sont celles que la nature nous offre. Les étoiles dans le ciel, et la fluorescence du plancton marin... Même durant une nuit sans lune le noir cela n'existe pas et c'est bien.

Le lundi 08 juin 2015 – Sous le soleil à fond la caisse

06H00 : Bonjour ! Alors là, c'est le top ! 5,6 nœuds de moyenne sur la nuit ! 67,6 milles avalé le temps d'un gros dodo, j'adore !
Bon, en fait de gros dodo j'ai plutôt eu du mal à dormir car j'ai peiné à me caler convenablement à cause du roulis. J'ai des courbatures, ce qui est normal, mais je ne suis pas encore assez fatigué pour ne plus m'en rendre compte...

06H25 : A priori nous devrions passer l'équateur mercredi soir. Ensuite il restera encore 800 milles à faire. Nous sommes à 50 milles au large de Fortaleza.

Mais puisque je te dis que j'ai vu des poissons !
06H45 : Non Touline ! Elle a les deux pattes avant posées sur le passavant et une troisième en suspension, prête à rejoindre les deux premières. Son moignon de queue remue rageusement. Je sais bien ce qu'il se passe dans sa tête de chat ; tous les matins c'est le même cinéma. Elle veut vérifier si quelques poissons-volants un peu idiots ne se seraient pas suicidés en s'échouant sur le pont. Mais non, pas ce matin ! (J'ai déjà vérifié)
Je joins le geste à la parole en la repoussant du plat de la main et en répétant, non Touline ! Sa queue ridicule se tortille de frustration. Elle fait mine de vouloir rentrer à l'intérieur, puis d'un bond d'un seul elle franchi le passavant opposé ! Putain de dieu ! Je bondis à mon tour et nous voilà en train de nous courir après tout du long du pont ! Elle fait son tour, avec moi gueulant derrière elle, et bien sûr revient bredouille. Pourquoi tu ne m'écoutes pas ?!? Je t'ai dit que j'avais vérifié !!! Après on s'étonne que des chats tombent à l'eau...

08H50 : Putain qu'est-ce que je me fais chier... C'est comme pour les courbatures, je ne suis pas encore suffisamment fatigué pour le temps passe de façon indolore.

09H15 : Depuis un moment je me demande ce que cela rapporterait de lâcher un ris. J'irais plus vite, sans doute, mais j'y perdrais très certainement en confort... Cruel dilemme ! Bon, le mieux c'est encore d'essayer, non ?

09H25 : Voilà, c'est fait. A priori j'ai gagné un nœud (plus ou moins). Pour le confort, on verra à la mi-journée.

12H00 : 130 milles de parcourus en 24 heures ! 5,8 nœuds de moyenne sur les six dernières heures ! Merci qui ? Merci le courant !
Bon, c'est pas tout ça, qu'est-ce que je mange à midi moi ? Une boite de thon à la tomate avec des pâtes, et une crème au chocolat en dessert, ça va le faire hein ?

14H00 : Tout compte fait La Boiteuse roule autant avec la GV haute. Par contre, on a gagné 0,7 nœuds. Cela n'a l'air de rien, mais sur les distances qui nous concernent cela représente un jour et demi... Et ça, ce n'est pas rien.

15H35 : Il y a un grain sur tribord. Le premier que je vois depuis trente-six heures. Ca me fait penser qu'on ne devrait pas tarder à entrer dans le Pot au Noir...

17H35 : Le soleil se couche 15 minutes plus tard qu'hier. Go West ! (J'ai les Pet Shop Boys dans la tête maintenant. C'est malin !)

18H00 : Point du soir bonsoir ! On frôle les six nœuds de moyenne pour cet après-midi (5,96). Je suis ravi ! En même temps, vu l'état de la mer on doit bien avoir deux nœuds de courant positif. N'empêche, I am content. Sinon... Ben sinon, bonne nuit !

Go West !

Le mardi 09 juin 2015 – Ça se corse

05H15 : Je n'ai pas encore les chiffres officiels, mais je crois que cette nuit on a dû battre un record. Sinon, RAS. Le ciel s’éclaircit, dévoilant quelques cumulus assez bas sur l'eau... Dont un qui nous arrive juste derrière.

06H00 : 76 milles de parcourus en 12H00 ! Je crois bien que La Boiteuse n'est jamais allé aussi vite de toute sa carrière ! (avec moi à son bord en tous cas). 6,33 nœuds de moyenne. Que dire ? Rien, sinon qu'on devrait franchir l'équateur plus tôt que prévu. Les gros nuages sont passés à côté.

08H10 : Je viens de faire le tour du pont où j'ai ramassé trois tous petits poissons-volants. C'est le petit-dèj' à la Toul' !
D'après la carte météo (caduque mais toujours informative), nous devrions déjà être sous l'influence de la ZIC (Zone Intercontinentale de Convergence. Le Pot au Noir si vous préférez), avec des vents plutôt d'Est et faiblissants. Pour l'instant ce n'est pas trop le cas, même si ce matin j'ai du lofer de 10°.

09H44 : Je viens de terminer Les arcanes du chaos de Maxime Chattam. T'en veux de la conspiration ?

10H45 : De grosses nuées approchent par l'arrière. Je crois bien qu'il serait raisonnable de prendre un ris...

Cumulus
10H55 : Voilà qui est fait. Je ne sais pas encore si mon intuition a été la bonne. On verra dans quelques minutes. En attendant, j'ai un superbe exemple de cumulus sur tribord arrière. Très pédagogique comme photo non ?

11H15 : Mouais bof... J'ai peut-être été un peu trop prudent sur ce coup-là. Juste une survente légère et quelques degrés de moins sur le thermomètre. Je vais quand même le garder ce ris... On ne sait jamais.

12H00 : Tout roule. 146 milles sur les dernières vingt-quatre heures ! Je suis très fier de mon bateau ! La mer est F3, le ciel s'éclaircit. Tout baigne.
Au repas je me prépare du riz avec des boulettes.

14H45 : Je viens de faire un rêve bizarre... A une escale, je me retrouve dans une maison inconnue où j'y retrouve ma famille. Mes parents, ma sœur et toute une flopée de cousins que je ne reconnaissais pas mais qui étaient hyper-sympas avec moi. Ils m'admiraient et me félicitaient tous pour mon choix de vie... Tous sauf mon père, ma mère et ma sœur. Tout le monde insistaient pour que je reste, mais moi je ne pensais qu'à une chose : rejoindre mon bateau parce que j'avais peur qu'il soit mal mouillé... Vraiment zarbi comme rêve.

Là il fait moins le fier...
15H00 : Pour le coup, le fait d'avoir voulu garder ce ris va sans doute se révéler être une excellente décision. Un grain va nous tomber sur le coin de la gueule dans quelques minutes, et il m'a l'air sérieux.

15H15 : Allez, cette fois on y a droit ! 8 nœuds de vitesse fond. Putain, ça dépote !

15H40 : Voilà, c'est fini. Une belle accélération au départ, puis des trombes d'eau. Derrière il reste un ciel bouillasseux. En tous cas, garder ce ris n°1 pris était définitivement une bonne idée.

16H15 : C'est bien ce que je pensais... Il ne s'agissait pas d'un simple grain, mais d'un front froid. Les nuages s'étirent jusqu'à l'horizon sans une lueur de bleu. Le vent ne semble pas avoir changé pourtant... Sud-Est F4. La Boiteuse fait ces cinq nœuds dans des creux de deux mètres. Il fait frais, j'ai dû mettre ma polaire.



17H45 : Le soleil doit être en train de se coucher... Enfin je crois, parce que les nuages sont trop épais pour que je distingue quelque chose. J'ai l'impression que c'est parti pour durer. La seule chose que je souhaite, c'est qu'il ne pleuve pas... trop ! La mer s'est creusé, trois mètres avec une houle courte qui déferle. F5-6 je dirais.

17H56 : Putain de dieu ! Une vague vient de déferler pile sur l'arrière du bateau, noyant le cockpit sous des litres d'eau salée ! Mon duvet, humide de l'averse de tout à l'heure, y était en train de sécher... Qui c'est qui va dormir dans des draps mouillés ce soir, hein ?

18H05 : Bon sinon, à part ça, 5,75 nœuds de moyenne depuis midi. Normal, le ris que j'ai pris réduit un peu la vitesse. Mais vu la météo, c'est préférable.

19H15 : J'étais allongé sur le dos au fond du cockpit, à regarder la pale de mon régulateur s'agiter dans le vent, quand j'ai réalisé que quelque chose clochait. Le mât du régulateur bougeait un peu trop à mon goût. Normal, le boulon de la dernière jambe était de nouveau cassé ! Grumf !
J'ai réparé, mais j'espère que ça tiendra cette fois car il ne me reste plus qu'un seul boulon avec le bon diamètre. Commence à me gonfler grave ce régulateur...
 
Chaud !

 
Quoi ?

 
Noir et Blanc