lundi 24 février 2014

Mécanique et mondanités

32°01.581S 52°06.512W
Rio Grande do Sul, Brésil

Ce lundi matin, la nuit a été assez humide et la rosée recouvre le pont de La Boiteuse. Un héron termine sa nuit perché sur un Duc d'Albe à deux ou trois bateaux d'ici. Le gris du matin arrive, et le voilà qui prend son envol en poussant un cri aussi assourdissant que désagréable. C'est beau un héron, mais c'est moche quand ça parle.
Un petit vent du sud fait faseyer le penon du régulateur d'allure. Un vent du sud ? Ben oui, un vent du sud... Enfin, une petite brisounette plutôt. Un pet de nonne qui tourne et vire au gré de son humeur sans vraiment ouvrir la route du Nord pour La Boiteuse et son équipage. Enfin... Jusqu'à présent.

Alors, quoi de neuf depuis dix jours ? Ben rien... Enfin si, quand même ! Il y a eu quelques événements qui ont ponctués d'agréable manière un séjour plutôt placé sous le signe de la routine tranquille. Lundi dernier est arrivé un bateau, un Romanée battant pavillon français, en provenance directe d'Ushuaïa. A son bord, non pas un français comme on aurait pu légitimement s'y attendre, mais une brésilienne, Izabel Pimentel.

Izabel Pimentel et Paulo Baptista
Le débarquement d'une star locale, qui est sur le point de devenir la première femme brésilienne à avoir fait le tour du monde en solitaire avec escales n'est, vous vous en doutez bien, pas passé inaperçu. Un churasco a même été organisé en son honneur, et accessoirement nous y avons été associé Alain, Graziela et moi. Bonne viande, bon vin, discours et compliments... Bref, une soirée assez sympa où pour la première fois je me suis senti accepté par les socios du coin. Et croyez-moi si je vous dit que ça fait du bien !

Grrrr...
Sinon, mes problèmes de moteur ont été en partie réglés. Figurez-vous que le filtre à gas-oil n'y était pour rien ! Enfin, il méritait d'être changé c'est certain, mais en fait il s'agissait de la pompe d'alimentation qui avait rendu l'âme ! Le problème est maintenant réglé grâce aux bons soins du mécano local. Par la même occasion, il va me régler les soupapes qui cliquettent un peu trop lorsque le moteur est froid selon lui... Ce qui devrait être fait ce soir ou demain matin.

Ensuite... Et bien ensuite je vais partir ! Si-si ! Cette semaine s'annonce assez prometteuse en terme de vent (du sud-est, 10-15 nœuds, tranquillou-marylou), et je pense que je vais tenter ma chance dans les tous prochains jours. Direction, une petite baie au nord de Santa Catarina, l'enseada de Porto Belo. 400 milles... Que l'on va essayer de faire le plus rapidement et dans les meilleurs conditions possible.

Pour finir, je voudrais saluer l'arrivée de mes amis Hughes et Caroline à Puerto Williams au Chili. Ca y est ! Ils y sont ! Au bout du bout du bout du bout du monde ! Et puis aussi celle d'Astrid à l’île de Pâques ! Et puis... Bon j'arrête de vouloir parler des copains, vous n'avez qu'à vous reporter à la liste des blogs qui se trouve dans la marge. A bientôt !

C'est CHEZ MOI ici !
Un soir d'orage I
"Don" rentre sur Rio pour boucler son tour du monde
Un soir d'orage II
Un soir d'orage III (même pas retravaillée en plus !)

vendredi 14 février 2014

Valentine's Day

32°01.581S 52°06.512W
Rio Grande do Sul, Brésil

Quelques mots vite fait, histoire de vous donner des nouvelles. Aujourd'hui, dans le grand sud brésilien, il fait un temps maussade et frais dû à un front froid venu du Sud. Un peu de fraîcheur après ce qui a été, d'après les médias locaux, les dix jours les plus chauds depuis... Depuis très longtemps. Plus de 40°C au quotidien, avec des nuits à 30°C... Autant vous dire que même si j'apprécie toujours autant la chaleur, j'ai également mes limites dans ce domaine. 

Donc pour l'heure, il fait frisquet (oui, je suis désolé mais 25°C, c'est frisquet). Et il pleut comme vache qui pisse. Un temps idéal pour cocooner tranquillou au bateau devant une bonne série télé. En ce moment, c'est Boardwalk Empire qui me comble mes journées ! La prohibition, Steve Buscemi, produit par Martin Scorcese et Marc Wahlberg... Que du bonheur !

Sinon le temps s'écoule tranquillement au RGYC, le Rio Grande Yatch Club. J'ai fait la connaissance d'un couple franco-brésilien, Alain et Graziela, qui se baladent le long des côtes brésiliennes à bord, tenez-vous bien, d'un Coco de 6,50m ! Autant vous dire qu'ils font l'attraction auprès des autochtones qui peinent à imaginer qu'on puisse voyager au long cours sur un aussi petit bateau ! Même moi je l'avoue, je suis impressionné... C'est là que je me rends compte que même si j'apprécierai volontiers un bateau plus confortable que La Boiteuse (genre mon voisin, un Najad 390), je n'ai cependant pas à me plaindre. Le pire est toujours possible !

Alain et Graziela
Nous papotons tous les jours et c'est un vrai plaisir que de partager ma petite expérience avec un plus expérimenté que moi. J'apprends plein de chose, et il se peut même qu'Alain arrive à me convaincre de faire un arrêt à Salvador da Bahia alors que j'avais pensé zapper cette étape !

Quoi vous dire d'autre ? Rien j'en ai peur... Je suis toujours à la recherche de pièces pour mon bateau (une recherche bien peu assidue je le crains), et mon circuit de gas-oil n'a toujours pas été réamorcé... Mais cela n'a pas vraiment d'importance car je m'en tamponne un peu en ce moment. J'ai la tête ailleurs dirons-nous... Quelque part dans le Nord, sous le blizzard... Bref, aujourd'hui c'est la Saint Valentin et ça me fait chier.

Brooklyn sous la neige
Les voyageurs solitaires ne sont pas vaccinés contre les coups de blues, et les conneries qu'on a faites reviennent parfois vous hanter à certaines dates... Mais bon... Je n'avais pas prévu de m'étendre sur ce sujet alors brisons-là si vous le voulez bien.

Ce qui est bien, c'est qu'après le quatorze février, vient le quinze. Et demain sera un autre jour, et il se pourrait bien qu'il pleuve encore.

La Boiteuse
Coco
Lancha de frete

lundi 3 février 2014

Le tour du monde à cloche pied

32°01.581S 52°06.512W
Rio Grande do Sul, Brésil

Quoi de mieux qu'une journée orageuse, où des nuées sombres déversent des barriques de flottes sur les pontons déserts et où accessoirement l'électricité et internet jouent à saute mouton, pour écrire un article de fond ? Hein ? C'est un moment parfait pour ça. Je ne suis pas distrait par mes habituels papotages avec mes amis des quatre coins de la planète. Je suis « coincé », parce que même si l'eau qui tombe du ciel est tiède, c'est quand même mieux de rester sec. Et puis ça tombe bien parce qu'il y avait un truc dont je voulais vous parler depuis quelque temps. Donc, article de fond disais-je, destiné à figurer dans la catégorie « Réflexions » (donc possiblement chiant, vous êtes prévenus).

Tout le monde aux abris...
Pendant longtemps, j'ai cru que j'étais un paresseux. Un oisif. Un type qui se contente de choses non-productives comme chatter avec ses copains, regarder des séries télé et glander tout seul dans son coin. Une sorte de misanthrope que le moindre effort physique rebute et qui se complait dans un monde virtuel loin de la vraie vie des vraies gens. Un marin accroché à son électricité et sa connexion internet comme une moule à son rocher. Incapable d'apprécier les joies du mouillage dans une petite baie perdue loin de la civilisation...
Pourquoi est-ce que j'ai bien pu me mettre ça dans la tête vous demandez-vous ? Et bien peut-être parce qu'on me l'a dit et que j'y ai cru. Mais attention, quand on me l'a dit, c'était avec le ton qui va avec... Le genre de ton, bien culpabilisant qui ne supporte pas la réplique et vous classe définitivement dans la catégorie des gens qui ne comprennent rien à rien (Je sais de quoi je parle, j'utilise bien souvent moi-même un tel ton comme vous le verrez plus bas). Et la culpabilité est quelque chose qui fonctionne assez bien avec moi, vous vous en êtes certainement déjà rendu compte.

Et moi, je fais quoi en attendant ?
Cela a commencé avec le genre de réflexions que l'on entendait il y a une dizaine d'années, lorsque l'internet et les réseaux sociaux se sont développés à la vitesse grand V et que les réfractaires bien-pensants craignaient que nos enfants se transforment en légumes vautrés sur leur canapés... Cette peur, et les réflexions qu'elle engendrait, a bel et bien vécue et de nos jours il serait parfaitement incongru de tenir de tels propos. Mais pourtant il m'arrive encore de les entendre, même si il est désormais clair que les réseaux sociaux et internet créent plus de lien social qu'ils n'en détruisent.

Ensuite, lorsque j'ai commencé à voyager, j'ai eu à faire face à l'incompréhension de mes « collègues » quant à mon aversion des mouillages, des lieux isolés en général, et ma préférence pour les lieux pourvus d'électricité et d'un réseau wifi correct... Même si j'ai revendiqué mon indépendance par rapport à ça (confère l'article « J'aime pas les mouillages » en octobre 2012), cela ne m'a pas empêché de continuer à culpabiliser et de considérer parfois ma paresse et ma sédentarité comme un défaut moral.
Cependant, et même si il me semblait être au clair avec moi-même, je n'en continuais pas moins à trouver que quelque chose clochait dans mon raisonnement. Une espèce de sentiment d'inconfort par rapport à tout ça... Comme si je n'étais pas parvenu à totalement découvrir le pourquoi du comment de mon comportement.

Je sais... Je suis allé chez le dentiste depuis.
C'est alors qu'il m'est venu aux oreilles cette espèce de polémique débile qui fait rage en France, sur « la théorie du genre ». A ce propos, et outre le fait que la théorie du genre est un fantasme pour réactionnaires, je me permets de vous renvoyer à la définition de Wikipédia sur ce qu'est une théorie, et vous noterez cette phrase qui me semble importante : « Dans le langage courant, le terme « théorie » est souvent utilisé pour désigner un ensemble de spéculation sans véritable fondement, à l'inverse du sens admis par les scientifiques. »

En ce qui me concerne je n'utilise le mot théorie que dans son sens vrai, c'est à dire scientifique. Le langage courant étant bien souvent celui des crétins gens peu instruits, ce qui n'est pas mon cas (vous sentez le ton que j'utilise ?). Et dans ce cas précis il me semble évident que la « théorie » du genre est un fait établi et prouvé depuis bien des années par de nombreuses études sociologiques et psychologiques. Et seuls quelques bas du front incultes, réactionnaires et lobotomisés par leur croyances à la con peuvent encore prétendre le contraire.
Mais bon, je ne suis pas là pour vous parler de ça ni vous faire la morale, parce que s'il le faut vous vous en foutez comme de votre première chaussette (et vous auriez tort !). Non, si je vous parle de ça, c'est parce que cette polémique stérile sur le « genre » renvoi à la sempiternelle et passionnante question entre ce qui est inné, et acquis. On devient hétérosexuel, homosexuel, chauffeur routier ou ménagère. Et ça, c'est la culture et la société qui nous l'impose pour une grande part, avec son cortège d'injustice. C'est bien compris les débiles ? (Bon ok, j'arrête))

Heureusement, des fois c'est beau.
Bref, j'en étais à écouter de loin cette controverse lorsqu'il m'est alors venu à l'esprit que, me concernant, il se pourrait bien que mon comportement social de geek casanier était peut-être induit et non pas le fruit de je ne sais quel comportement inné. En clair, je ne suis pas né paresseux, casanier, nonchalant et beau gosse, je le suis devenu. A partir de là, la question qui se pose est celle-ci : Qu'est-ce qui a fait que je sois devenu comme ça ?
Après quelques semaines de réflexions intenses (mais non, j'déconne !), la réponse m'est apparue aussi clairement que le nez au milieu de la figure de Cyrano.

Il y a de cela maintenant vingt-trois ans je me fracturais la cheville droite. Multiples fractures de l'astragale, et du calcanéum en fait. Je vous passe les détails, mais disons que ceux qui ont eu une entorse peuvent comprendre si je dis que c'est un peu comme si actuellement j'en avais une en permanence. C'est comme ça depuis des années, et avant que vous ne me suggériez plein de choses via vos commentaires, sachez qu'on peut rien y faire. C'est comme ça, c'est foutu. À moi de faire avec.
Je crois que je ne me suis jamais considéré comme handicapé... Je ne sais pas trop pourquoi, mais c'est ainsi. Peut-être ne voulais-je pas me sentir diminué, même si de toute évidence je n'étais plus le même. Peut-être voulais-je croire que rien n'avais changé... Peut-être aussi que comme c'est une douleur qui ne se manifeste qu'après quelques minutes d'efforts, la plupart du temps je ne me sentais pas amoindri.
Et pourtant, ma façon de vivre s'en est trouvée affectée. J'ai commencé à moins marcher, à calculer presque automatiquement quel était le trajet le plus court pour aller d'un point à un autre... Bref, à optimiser mes déplacements afin de moins souffrir. Et je faisais tout cela, sans même admettre que j'avais un problème. Jusqu'à croire que c'était ma nature que de ne pas aimer bouger de chez moi, puis de mon bateau. Je sais, ça a l'air débile posé comme ça, à froid, sur le papier... Enfin, je veux dire que j'aurais pu m'en rendre compte depuis longtemps, et notamment depuis que je dispose de tout ce temps pour réfléchir... Mais non. Je suppose que certaines choses nécessitent d'un peu de temps pour mûrir. Et parfois même d'autre encore ont besoin de beaucoup de temps.

C'est pour moi ?
Concrètement cela veut dire quoi ? Cela veut dire que lorsque je dois aller en ville cela représente trois kilomètres aller-retour... Et généralement il me faut au moins quarante-huit heures pour me remettre d'une telle escapade. Deux jours pour enfin réussir à ne plus marcher sans avoir mal... Et forcément, cela va influencer ma vie quotidienne. Je vais essayer de grouper les choses à faire afin de limiter les efforts et me contenter de ce que j'ai directement sous la main. Je vais oublier les petites randonnées sympathiques, les grimpettes sur les collines, les petites balades au hasard...
Bref, j'ai appris malgré tout à vivre en fonction de ce que mon corps est capable de supporter.

Voici un dernier exemple qui pourra sans doute illustrer encore mieux ce qu'est ma vie. Vous savez que je n'aime pas faire escale dans une grande ville... La seule qui ait trouvé grâce à mes yeux ça a été Barcelone. Mais si j'ai adoré cette ville, cela n'a rien à voir avec la douceur de vivre Catalane ou la richesse culturelle de cette ville (enfin si quand même un peu), c'est d'abord et surtout parce que le port se trouvait au milieu de tout. Cafés, supermarchés, boutiques, administrations... J'avais tout à disposition dans un rayon de cinq cents mètres de mon bateau. Et ça franchement, sans mauvais jeu de mot, c'est le pied.

Crunch... Merchi... Crunch... Papa... Crunch..
Entendons-nous bien, je ne cherche pas une excuse à mon comportement, mais une explication. Je suis devenu ainsi parce qu'il est de la nature humaine de chercher le contentement à moindre effort et à moindre souffrance. Croyez-moi, j'adorerais qu'il en soit autrement... Ou du moins que ma tolérance à la douleur me permette d'agrandir le cercle de mes possibilités. Mais le fait est que je suis limité physiquement, et que je dois enfin l'admettre.

Alors bon. Maintenant que j'ai dit ça, qu'est-ce qui va changer ? Ben rien... Il s'agissait d'une réflexion, rappelez-vous. Je vais peut-être juste arrêter de me faire des cheveux blancs et me contenter de profiter de la vie du mieux que je peux. La Boiteuse c'est un peu mon fauteuil roulant à moi, et même si mon horizon reste limité, je m'estime heureux de pouvoir en changer quand ça me chante. C'est déjà pas mal. Parce que même si je fais le tour du monde à cloche pied, au moins je fais le tour du monde ! Et ce sera toujours bien plus que je ne pouvais en voir de la fenêtre de ma maison.

Un arcus par semaine au minimum. C'est la loi ici !