jeudi 25 octobre 2012

Vers le Sud

20°17.991S 40°17.341W
Vitória, Espírito Santo, Brésil

Iate Clube do Espírito Santo
Lorsque je vous avais laissé la semaine dernière, Mercedes refusait toujours d’alimenter mes batteries, l’immigration brésilienne venait de m’enjoindre de quitter le pays et ma chatte vivait attachée en laisse comme un vulgaire canidé. Comme je vous le disais, ce n’était pas la joie, mais je me consolais en me disant que ça pouvait être pire...

Depuis, les choses ont évolué... Dans le bon sens. Après avoir attendu plusieurs jours qu’un électricien vienne jeter un œil à mon alternateur et me confirme que j’avais de mes blanches mains résolu moi-même le problème (Sic !), tout en me soulageant d’une somme substantielle, la Boiteuse est maintenant prête à prendre la mer. Sauf que la mer elle, n’est pas forcément prête à accueillir la Boiteuse.
A moins que son Capitaine n’accepte de se faire brasser comme dans une lessiveuse, il va falloir attendre encore un peu avant que de mettre les voiles. Et comme le Capitaine c’est moi, vous imaginez bien que je ne vais pas me le dire deux fois.

Nouveau joint de culasse !
Mais bon, logiquement samedi matin, je décarre de Vitória, et je reprends la route du Sud pour rejoindre l’Uruguay. Pour les férus de géographie, ou plus simplement les navigateurs expérimentés qui savent de quoi je suis sensé parler, je me dois de rectifier ce que j’avais annoncé dans l’article précédent : Ce n’est pas 2000 milles qui me restent à faire pour quitter le Brésil, mais plutôt 1200. Vous allez me dire, c’est chouette, et vous aurez raison. Surtout que je me suis concocté un petit plan de navigation qui va me permettre de faire ces 1200 milles en trois ou quatre étapes, avec à chaque fois une escale pour me reposer et reposer mon bateau.

Tout baigne dans l'huile !
La prochaine étape de mon périple me mènera à un des spots les plus réputés du Brésil, à savoir Ilha Grande, plus précisément au mouillage de Saco do Ceu. Comme son nom l’indique Ilha Grande est une ile. Une grande ile en forme de croissant aplati long de 30 Km.
La particularité de cette ile est qu’elle fourmille de baies, de criques et de plages toutes aussi paradisiaques les unes que les autres. Ce n’est pas moi qui le dis c’est Google Image. Vous n’avez qu’à taper Ilha Grande dans le moteur de recherche, et vous vous effondrez de suite sur votre clavier, la langue pendante et les yeux exorbités. L’eau est claire, ce qui est exceptionnel au Brésil, le mouillage sûr, et la vue imprenable sur la nature.

Et là, je vous entends d’ici me dire : Quelle chance tu as Gwendal !

Toi l'impeller, tes bon pour la poubelle...
Tout d’abord, arrêtez de me dire que j’ai de la chance, ça me gonfle. Tout ce que je fais ou vis, n’a rien à voir avec la chance, je me tue à vous le répéter. Ensuite, si je vais là-bas c’est pour des raisons qui n’ont a priori rien à voir avec la qualité de l’endroit. Il s’agit tout d’abord d’observer une coupure et de me reposer, et ensuite de rester hors des radars de l’administration brésilienne. La beauté de l’endroit, c’est juste la griotte sur le clafouti.

Et puis qui sait, ce moment passé en pleine nature, coupé (ou presque) du monde, me réconciliera peut-être avec ce mode de vie qui pour l’instant me rebute. La solitude, l’autarcie... Il va falloir que j’apprenne à apprivoiser tout ça.
Vous voyez, chers lecteurs, certains me trouvent arrogant et plein de certitudes, mais je prouve une fois encore qu’il n’en n’est rien. Je sais mettre de l’eau dans mon vin quand je veux !
En même temps, je suis assez honnête pour reconnaitre que je n’ai pas trop le choix, donc autant essayer de voir le bon côté des choses.

Voilà. J’ai deux jours devant moi pour remplir les soutes de vivres et faire les pleins d’eau et de carburant. Et ensuite on y va...

Ah oui, une dernière chose : Vous vous doutez bien que dès que j’aurais quitté Vitória et jusqu’à ce que j’ai rejoint l’Uruguay, les possibilités de communication vont se trouver grandement réduites. Aussi, ne vous inquiétez pas si je ne publie rien avant un petit moment. Je vais faire de mon mieux pour vous tenir au courant, mais je ne peux hélas pas vous en faire la promesse.

A très bientôt !

vendredi 19 octobre 2012

Clandestino

20°17.991S 40°17.341W
Vitória, Espírito Santo, Brésil

Je viens de passer une semaine de dingue… Dingue de chez dingue. Enfin, à mon niveau je veux dire.
Cela a d’abord commencé lundi, où Fabio est venu démonter la partie supérieure de Mercedes. Le vendredi précédent, le constat avait été fait et le diagnostique posé, j’avais de l’eau dans mon moteur. De l’eau là où il n’est pas sensé y en avoir si vous préférez, car au niveau des regards du carburateur ça faisait comme une mayonnaise grise (d’ailleurs ça l’a bien fait rigoler le Fabio cette expression de mécanicien français). Et qui dit eau dans le moteur, dit a priori joint de culasse défectueux.

Nous en étions là lorsque Fabio débarqua juste au moment où je m’apprêtais à faire ma sieste. Une heure plus tard, je le voyais plonger son doigt dans cette mayo peu ragoutante et le porter à sa bouche. Son visage c’est fait sceptique, et il a recommencé plusieurs fois pour être bien sûr de lui. Intrigué, je fis de même. Et oui, c’était bien de la mayonnaise salée.
Merci à Jean-Pierre pour le montage !
 Du coup le diagnostique évolua, et nous tombâmes d’accord sur le fait que la non-ouverture de la valve d’arrivée d’eau m’avait sans doute fait embarqué de l’eau de mer. Par la suite je me suis fais confirmer ce diagnostique par des copains à l’autre bout du net, et tous m’ont répondu que cela était hautement probable, et qu’en plus j’avais déjà dû embarquer un peu d’eau pendant la tempête alors que la Boiteuse était secouée dans tous les sens.

Bref, la partie incriminée du moteur est partie à l’atelier pour un bon décrassage, plus différents travaux de réglage (ne me demandez pas j’ai oublié comment ça s’appelait), et je devrais logiquement récupérer mon moteur aujourd’hui vendredi. La facture s’élève déjà à 2111 $R (844 €), hors remontage, vidange et essai du moteur.

Concernant ma situation administrative, je n’ai hélas pas pu faire grand-chose. Après une journée et demie de tractations diverses dont je vous passerais les détails, je retrouve avec un passeport tamponné et 72 heures pour quitter le territoire.

Compréhensifs, mais intraitables...
Bon, d’après un officier de la Policia Fédéral, si je décide de rester quelques jours de plus histoire de peaufiner la préparation du bateau,  je ne risque pas grand-chose au Iate Clube. C’est plus tard quand je serai parti que cela risque de devenir scabreux. Logiquement je suis censé filer tout droit en Uruguay, chose que je n’ai absolument pas envie de faire... Trois semaines de mer en côtier, non merci. Après mon départ de Vitória, les marinas me seront interdites, je vais donc devoir me faire discret... et mouiller dans des endroits peu fréquentés pour me reposer. Moi qui ai horreur de ça, je vais avoir l’occasion de changer d’avis, ou pas. Ici commence donc un périple de 2000 milles en clandestino.(Allez, reprenez tous en cœur avec moi !)


Je vous avouerais que j’ai un peu peur de prendre la mer, aussi peu de temps après ce qu’il m’est arrivé, et dans ces conditions là. Enfin, je ne sais pas vraiment si c’est de la peur, mais disons que cela ne m’enchante pas... Je me lance dans quelque chose de totalement nouveau pour moi, avec quelques inconnues majeures... et franchement je n’aime pas ça. En plus, je n’ai pas réussi à récupérer de ma précédente navigation. Pire, j’ai l’impression d’avoir aggravé mon état physique avec un mal de dos et des douleurs musculaires diverses.
Mais d’un autre côté j’ai hâte de laisser cette ville et cette escale derrière moi. Je n’y ai pris aucun plaisir, je m’y suis fatigué outre mesure, et griotte sur le clafoutis, Touline n’y est plus la bienvenue.

Vous allez tous me le payer !
Et oui, figurez-vous qu’un bâtard est venu frapper à ma coque dimanche dernier à six heures du matin, pour m’enjoindre de garder ma chatte recluse à mon bord. J’ai cru un moment que ce coincé du cul allait me foutre la paix aussitôt le weekend terminé, mais manque de bol il s’agissait du manager de la marina...
Depuis ce jour Touline passe son temps attachée à un boute, se saucissonnant elle-même toutes les cinq minutes, ou alors enfermée dans le bateau lorsque je m’absente. Cela me fend le cœur, ainsi qu’à ses nombreux copains, mais impossible de passer outre le règlement car je suis maintenant surveillé de près. La chatte devient folle d’être recluse et moi je pète un câble de devoir la supporter.
En plus depuis quelques jours l’internet déconne à plein tube et je n’arrive même plus à discuter avec les gens que j’aime. Donc, vous voyez, j’ai aussi pas mal de raisons pour me casser d’ici.

Donc voilà où nous en sommes... C’est pas la joie, mais ça pourrait être pire.

Allez, je vous laisse, j’ai juste le temps de poster cet article et d’aller prendre une douche avant que Fabio n’arrive.
Vitoria

samedi 13 octobre 2012

J’aime pas les mouillages

20°17.991S 40°17.341W
Vitória, Espírito Santo, Brésil

Au mouillage à Vitória
C’est un weekend prolongé ici à Vitória, puisque vendredi l’on fêtait Nossa Senhora da Conceição Aparecida (une superstition locale). Et qui dit weekend prolongé dit bien sûr pas de mécano, donc rien de particulier à faire sinon profiter de l’air du temps. Et ça tombe bien car j’en avais grand besoin.
Mon mal de dos se résorbant peu à peu, je peux enfin dormir tout mon saoul, réfléchir (pas trop), pêcher, et bien sûr écrire. Et ce matin j’avais envie de revenir sur ce que vous aviez sans doute compris, à savoir mon aversion pour les mouillages.

C’est quelque chose que j’ai longtemps eu du mal à expliquer, et qui dans le milieu du voyage fait figure d’anachronisme, voire d’hérésie. Je ne compte plus les regards incrédules, même parfois dégoutés, que j’ai pu récolter lorsque je déclarais tout de go qu’il était hors de question pour moi d’aller me tanquer dans un mouillage.
Comment ? J’allais passer à côté de ce sentiment de liberté qui fait la quintessence de la vie en voilier ? J’allais me priver de ces plages fabuleusement désertes et de ces fonds transparents ? Je préférais m’agglutiner avec ces tous ces gens, comme une huitre à sa bourriche ?
Et bien oui, je préfère.

Le Loïck à Vitória
Au début, con que j’étais, je me sentais coupable de ne pas apprécier ce qui enchante la majorité des marins-voyageurs... Je balbutiais quelques explications aussi évasives que douteuses, tentant vainement de me justifier en arguant du manque d’autonomie énergétique de ma Boiteuse, de la difficulté de la manœuvre en solo, de mon besoin de rencontrer des gens, de mon confort au quotidien, que sais-je encore... Même Touline me servait de prétexte pour justifier mon amour contre-nature de la marina.
Je débitais mes salades, ne voulant en démordre pour rien au monde, et c’est tout juste si je ne m’énervais pas lorsque la personne en face de moi insistait pour me convaincre. Têtu comme une mule le Gwen.

Et puis, lors de ma navigation précédente, et la nuit forcée que j’ai dû passer à l’ancre face aux tours de Vitória, j’ai réfléchis un peu à tout ça, et j’ai réalisé qu’en fait la raison qui primait sur toutes les autres était que pour moi, être au mouillage s’apparentait à être encore en mer... Et cette considération rejoint ma philosophie première qui est que, pour moi, la navigation n’a pas d’autre intérêt que de permettre de voyager d’un point A à un point B en emmenant sa maison avec soi.

Calanques de Cassis
Et puis franchement, même si de plus expérimentés que moi m’ont assuré du contraire, avec la Boiteuse c’est quand même très différent que d’être amarré à un quai... D’abord vous n’avez pas l’électricité de la ville, ce qui complique grandement l’utilisation de la plaque électrique, du four électrique et de mon PC de bureau électrique avec son écran 23 pouces électrique et sa connexion internet électrique. Ensuite, si vous avez oublié d’acheter le beurre en allant faire vos courses, vous devez apprendre à vous en passer, à moins de devoir vous retaper un aller-retour en annexe. Sans parler de vous laver à l’eau froide ou encore devoir vider le bac des toilettes tous les trois jours. Bref, vous êtes obligé de gérer votre vie en mode économie et rationnement, comme en navigation.
A cela s’ajoute la sécurité du bateau. A moins d’être accroché à une bouée pour porte-avion, vous ne pouvez décemment pas abandonner votre embarcation aux éléments et aux voleurs plus d’une journée. Et si votre ancre dérape, c’est un coup à retrouver votre maison sur les rochers.
Et puis comment je fais avec Touline hein ? Vous y avez pensé à cette pauvre chatte qui n’apprécie rien moins que de squatter les bateaux des autres, comment fait-elle pour monter dessus ?

Décidemment, quels que soient les arguments que l’on pourra m’opposer, je trouverais toujours le contre-argument adéquat... C’est que j’aime mon petit confort voyez-vous. Je veux bien accepter d’en chier pendant une semaine, voire trois, même quatre à la rigueur, pour aller d’un endroit à un autre, mais finalement je goûte très peu ce genre d’exercice. C’est comme les pique-niques. C’est sympa une fois où deux, mais il est hors de question de bouffer des sandwichs toute ma vie.

Ile de Porquerolle
Cela-dit, il est une situation où j’apprécierais volontiers d’être au mouillage dans un endroit sympa. Je vous la livre comme un rêve éveillé que je fait souvent :
J’imagine assez bien me passer de tout ça, pourvu que mon amoureuse soit à mes côtés. Je nous imagine tous les deux, seuls au monde, nous baignant nus dans une eau turquoise. Nous préparant des repas savoureux que nous dégusterions les yeux dans les yeux. De longues discussions sur tout et n’importe quoi. Des siestes crapuleuses bercées par le ressac. Le temps s’arrêterait, nous serions heureux...
Là oui, dans ces conditions je signe des deux mains.

Mais tout cela ne durerait que le temps d’une lune de miel. Ensuite, ce serait retour fissa à la civilisation et à ses bienfaits !

jeudi 11 octobre 2012

Une escale technique qui se prolonge

20°17.991S 40°17.341W
Vitória, Espírito Santo, Brésil

Vitória
Voilà donc un peu plus d’une semaine que je me trouve à Vitória, et le moins que l’on puisse dire c’est que je n’ai pas chômé. Entre les allers et retours pour dénicher tel ou tel artisan, telle ou telle pièce pour réparer ma Boiteuse, je me retrouve avec une cheville douloureuse et une vague mais persistante impression d’être encore plus fatigué qu’à mon arrivée.

Sinon, ma vie quotidienne s’est trouvée grandement améliorée, lorsque deux jours après mon arrivée, et alors que j’étais en train de travailler à la rédaction des deux articles qui se trouvent juste avant celui-ci, voilà t-y pas que j’entends une petite voix qui dit « Ralentis ! ».
Je sors la tête du bateau et que vois-je ? Le Loïck !
En effet, il s’agissait bien de mes copains Caroline et Hughes, accompagnés de leur amis, qui arrivaient juste de Caravelas. Oh lala qu’est-ce qu’il était content le Gwen !
Avec eux à mes côtés, cette escale forcée s’en est trouvée grandement améliorée !

Cela dit, la présence de mes amis, aussi agréable soit-elle, ne compense que très peu cette sale impression que j’ai depuis mon arrivée à Vitória, à savoir que je n’y suis pas le bienvenu.
Une flottille pas tout jeune mais bien entretenue
Cette marina, pardon ce Iate Clube, est assez élitiste et ne possède pas la culture de l’accueil maritime... Je veux dire par là que les visiteurs sont cantonnés sur les deux seules places disponibles, des places très mal situées et soumises à la houle et au vent, tout au bout du quai. Le reste étant occupé par des bateaux à moteur pour la pêche au gros...
Rien à voir avec Mindelo où c’était des touristes allemands ou américains qui venaient se faire balader pendant une semaine à bord de yachts couteux. Ici, c’est la classe supérieure brésilienne, presque exclusivement blanche, qui possède son bateau et en profite le weekend pour aller taquiner la daurade coryphène, le thazar ou le marlin.
Donc, vous imaginez bien que le français barbu avec son short troué et ses teeshirts crades, il fait un peu tâche dans le décor...

Il y a même un sauna
La seule à être appréciée, voire même adulée, c’est Touline. C’est dingue ! Apparemment, les brésiliens n’ont pas trop l’habitude de voir des chats autrement que comme des errants faméliques, et restent ébahis devant la sociabilité Toulinesque. Une vraie star ma Touline, qui doit à ce jour figurée dans le répertoire photo de la majorité des portables de Vitória !
Je vous jure que j’exagère à peine.
D’ailleurs, cela me fait bien marrer car figurez-vous que les animaux sont interdits dans l’enceinte du Iate Clube. Alors quand un marinero, ou un quelconque officiel vient m’en faire la remarque, je lui dis que le règlement c’est une chose, mais que la réalité en est une autre... Et je lui montre comment ces millionnaires s’amusent comme des gamins avec ma chatte. Généralement, ça lui cloue le bec.

Passons maintenant au côté technique : Pour la voile c’est réglé. J’ai été livré lundi soir par le Monsieur qui s’appelle Fabio et qui se dit skipper et voilier professionnel. Je dis ça avec ironie vous vous doutez bien, car à la vue des coutures qu’il m’a fait, j’ai un gros doute sur l’une ou l’autre de ses compétences. M’enfin, je n’ai pas trop le choix, c’est le seul sur la place. J’espère seulement que les réparations tiendront le coup jusqu’en Argentine...

Du travail d'orfèvre
Le régulateur d’allure a été un peu plus compliqué à réparer... Si vous saviez comme les gens qui travaillent l’inox sont rares ! C’est la croix et la bannière pour en trouver un !
Après avoir attendu en vain que quelqu’un se déplace, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de partir en quête du type qui pourrait me faire ça avec les jambes du régulateur sous le bras. Bien m’en a pris, car après des tours et des détours en taxi et en bus, je suis tombé sur l’entreprise parfaite qui m’a fait un travail formidable en 24 heures et pour une somme raisonnable. J’ai vraiment été scotché par la qualité de leur travail

Fabio
Pour ce qui est du moteur, c’est là que les choses se compliquent. Au départ, j’ai dû changer le régulateur de tension qui se trouve à la sortie de l’alternateur (c’est ça qui avait grillé pendant la nave), et pendant que j’y étais j’en ai profité pour remplacer le tuyau d’échappement qui partait en couille. Mais au moment de tester le bourrin, c’est au tour du démarreur de faire des siennes !
Quarante-huit heures plus tard, Mercedes se retrouve avec un démarreur tout neuf, mais refuse toujours de démarrer... Mon mécano Fabio (un autre !) trifouille tant qu’il peut en démontant des trucs et des machins, puis me regarde avec un air compatissant et me dit : Ha água na máquina, é o junto que esta quebrado. En clair, j’ai pété le joint de culasse.

Le Loïck et la Boiteuse
Là, je peux vous dire que mon bel optimisme a commencé à s’effriter quelque peu... Pendant un moment j’ai été un peu abasourdi par la nouvelle, me figurant coincé ici pour l’éternité avec la Policia Fédéral et les Douanes qui toquaient à la proue de la Boiteuse pour m’embarquer et saisir mon bateau...
Mais j’ai vite repris du poil de la bête et me suis organisé pour que tous se passe au mieux. Mon visa expire dans dix jours, mais le mécano m’a assuré que s’il n’y avait que ça à faire, tout serait réglé avant la fin de la semaine prochaine. Ça sera juste, mais c’est jouable.
Et si par malheur la maladie de Mercedes se révélait plus grave que prévue, je pourrais toujours tenter de réclamer, en toute bonne foi, une prolongation exceptionnelle...

Voilà chers lectrices et lecteurs ce que sont les dernières nouvelles. Ajoutez à cela que Caroline et Hughes repartent dès ce soir, et vous aurez un panorama assez complet des petites misères qui ponctuent parfois la vie de rêve qui est la mienne.

Le point positif de tout ça, parce que je m’échine toujours à en trouver un, c’est que je vais avoir une semaine supplémentaire pour me reposer et soigner ce mal de dos qui me pourrit la vie depuis quelques jours.

Il faut toujours chercher les points positifs... 

La flottille rentre au soir...

lundi 8 octobre 2012

De Jacaré à Vitória - Deuxième partie.


20°17.991S 40°17.341W
Vitória, Espírito Santo, Brésil

Le mercredi 26 septembre 2012 – Jouer aux cartes.

Huitième jour
05H20 : J’ai mal dormi cette nuit. On a été un peu balloté, et pour une fois j’ai eu froid. Je crois que j’ai chopé la crève... C’est pas malin sous les tropiques !

06H00 : Faisons un peu le point en ce mercredi matin. J’ai déjà parcouru 760 milles et il m’en reste 630 environ à faire. Soit, a priori, une arrivée prévue mardi prochain en fin de journée après 14 jours de voyage. Encore une semaine en gros...
Pour l’heure il est temps de se rapprocher de la côté. Cap au 220°, au grand largue.

08H55 : Je viens de finir Les corrections de Franzen. Celui-là de bouquin j’aurais mis trois jours à le lire, tellement de fois je me suis surpris à relire tel au tel passage rien que pour le plaisir. C’est un livre magnifique et décapant sur la famille et qui aura au moins réussi à me conforter dans mon choix d’avoir coupé les ponts avec la mienne !

12H00 : Six heures de route au 175°. Tu le crois ça ? Il suffit que je décide de faire route vers la côté pour que le vent vire au Nord-Est, rien que pour me contrarier. On est presque vent arrière maintenant, avec le foc qui dévente une fois sur deux, la houle au ¾ arrière et la Boiteuse qui se dandine comme une cagole en chaleur.
Je vais attendre que le vent tourne, mais s’il ne le fait pas je vais devoir empanner...

13H30 : J’empanne. Cap au 230° compas. Le vent est au Nord.

Je m'emmerde...
15H25 : Touline s’emmerde, et moi aussi. Mais contrairement à elle je ne cherche pas à m’occuper à tout prix en faisant le con sur les filières, ou en essayant de grimper sur le moteur de l’annexe. J’essaye juste de puiser dans mon cerveau des chemins de pensées pour occuper les heures. Je repense à la façon de dégommer le Boss de fin de partie dans Bioshock par exemple. Je pense à un film que j’ai bien aimé et je me le repasse en accéléré dans ma tête. Je pense à ma navigation et fais et refais en pensée mes calculs de cap et de vitesse... Je repense à tel ou tel épisode de ma vie, récent ou non, et j’extrapole sur ce que j’aurais pu dire ou faire...
Mais tout cela, à haute dose, je le sens, n’est pas forcément bon pour moi. Si nous étions deux sur ce bateau, deux humains je veux dire, nous pourrions discuter, se raconter des trucs marrants, ou même jouer aux cartes par exemple ! Ca fait des années que je n’ai pas joué aux cartes avec quelqu’un... Est-ce que j’ai au moins des cartes à jouer sur ce fichu rafiot ? Non, je ne crois pas.
Bon, note pour plus tard : Trouver un jeu de cartes, et quelqu’un avec qui jouer.

16H30 : J’allume le moteur, les batteries ont besoin de jus. Je me demande si j’ai bien réglé le régulateur des panneaux solaires... Le voltage grimpe pendant la journée, mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup d’ampères qui rentrent. Il va falloir que je me penche là-dessus avec quelqu’un qui pourra déchiffrer correctement la notice en anglais.
J’en profite pour charger les batteries de l’ordinateur et de l’APN.

18H15 : Allez, une journée de plus en mer qui se termine. Je vais devoir être vigilant cette nuit avec ce vent qui change tout le temps, et veiller à ne pas trop m’écarter de ma route. Enfin, disons que je vais essayer de me réveiller à intervalles réguliers, c’est déjà pas mal.
A demain les gens !

Le jeudi 27 septembre 2012 – Coup de tabac.

04H00 : Il commence à pleuvoir.

04H30 : Je sors de mon duvet pour constater que le vent a carrément viré au Sud et est monté à F5-F6. Pendant un instant j’ai du mal à comprendre ce qui se passe... Mais le fait est que je suis bien trop toilé. J’enroule le foc, mais je me mélange les pinceaux. La contre écoute (qui n’était pas terminée par un nœud de huit) s’agite dans tous les sens et s’enroule en un sac de nœuds inextricable autour de l’écoute. Je me précipite à l’avant et passe un quart d’heure à démêler le bordel, sous les assauts répétés des vagues qui balaient le pont la Boiteuse. Pendant ce temps la Grand voile n’est pas bordée à fond et fasèye avec seulement un ris de pris...

04H45 : Lorsque je suis sorti de mon duvet je ne portais qu’un teeshirt, et me voilà maintenant trempé de la tête au pied. Je décide de m’accorder une pause, le temps de m’habiller et de fumer une clope. Ensuite, le jour ne va pas tarder à se lever et je vais pouvoir prendre le deuxième ris.
A l’intérieur Touline comprend qu’il se passe quelque chose de pas cool, et hésite à sortir.
J’ai à peine le temps de retirer mon teeshirt que j’entends la GV qui se met soudain à faire un bruit de mauvais augure...
Et merde, elle vient de se déchirer !

Je ressors, nu comme un ver sous la pluie battante et les embruns, et entreprends alors de l’abattre complètement. L’océan est blanc.

05H00 : Le jour s’est levé. Je suis à la cape et j’attends que ça se tasse avant d’aller évaluer les dégâts. De mon côté, pas de bobo (Enfin, je crois). Je vais me faire un café chaud.

05H30 : Ce n’est pas mon plus gros coup de tabac, mais en tous cas ça y ressemble.

06H25 : Bon, j’ai fait le point et j’ai regardé vers où nous pourrions nous dérouter. Pas une seule solution de repli à moins de 170 milles (Caravelas) et encore cette solution-là est plutôt bâtarde avec des récifs et des îles qui encombrent l’accès au fleuve... Sinon, il y a Vitória à 270 milles. Ensuite c’est carrément Rio de Janeiro... Ce qui reviendrait pratiquement à aller jusqu’au bout finalement.
Donc, pour l’instant on va continuer comme ça et attendre que ça se calme avant de prendre une décision.
Dehors ça piaule toujours autant. Des creux de trois mètres et un vent à 25 nœuds, rafales à 30 nœuds (F6-F7).

On est mal là...

07H50 : Bon les enfants, ceci est officiellement mon plus gros de tabac. F8 établit avec des creux de quatre mètres. J’en prends plein la gueule.

09H00 : Pour l’instant on fait route plein Ouest dans une mer démontée. Le vent souffle à 35 nœuds, rafales à 40...

11H30 : On dirait que ça se calme un peu... Je vois un peu de ciel bleu au dessus de moi. A moins que nous ne soyons dans l’œil de la dépression, auquel cas, on va pas tarder à repartir pour un tour de manège.

14H00 Ça continue. Un poil moins fort que tout à l’heure, mais c’est la merde quand même.

Dure journée
16H40 : Enfin, j’aperçois une frange de ciel bleu et quelques rayons de soleil droit devant. Mais bon, on n’est toujours pas sorti de l’auberge.

J’ai passé ma journée, sans manger, allongé dans le cockpit, recroquevillé dans mon duvet. Au plus fort de la baston j’ai rabattu celui-ci sur ma tête et j’ai préféré fermer les yeux plutôt que de voir ces vagues énormes... De toute façon il n’y a plus rien à faire maintenant, qu’attendre et serrer les fesses. Ce n’est plus moi qui commande.

18H00 : Il fait nuit et ça continue à bien piauler. J’ai fait 45 milles plein Ouest depuis ce matin et je suis maintenant à 90 milles des premiers récifs de Caravelas et à 30 milles des hauts-fonds. J’ai décidé de ne pas aller à Caravelas. L’entrée du fleuve est pleine de cailloux et c’est plutôt un port de commerce où je ne trouverai jamais de quoi réparer cette voile. Il faut donc que j’aille jusqu’à Vitória... Le cap au 230° est impossible à tenir, il faut donc que je vire de bord.
Je mange un bol de nouille et je fais ça.

18H30 : C’est fait. Cap au 120°, 3,5 Nds.

Le vendredi 28 septembre 2012 – Direction Vitória.

05H00 : Je me réveille et c’est pour constater que mon régulateur a rendu (encore) l’âme pendant la nuit. Les tirants, ceux que j’avais fait changer au Cap-Vert, n’ont pas résisté aux éléments... Je l’ai haubané rapidement. Je commence à connaitre la manœuvre maintenant.
La mer est encore forte et le vent aussi. F6. Il fait gris et froid.
Là, franchement, je commence à en avoir plein le cul. Même le café me donne envie de gerber, et je vous assure que ça n’a rien à voir avec le mal de mer.

Ce n'est pas fini...
06H30 : Allumage du moteur. Ce que je ne peux pas faire avec le vent, je peux toujours essayer de le faire au moteur. Et puis cela ne peut pas faire de mal aux batteries car les panneaux solaires n’ont pas vraiment eu l’occasion de voir le soleil ces dernières trente-six heures.
Vous allez me dire, Pourquoi tu ne l’as pas fait plus tôt ? Je vous répondrais qu’hier je voulais donner sa chance à la météo, mais puisqu’il n’y a pas d’évolution favorable je le fais maintenant. De toute façon, hier, vu l’état de la mer, l’hélice se serait trouvé la moitiée du temps hors de l’eau...
Et que c’est moi le Capitaine de ce navire qui part en morceaux, et pas vous. Alors je fais ce que je veux... Cap au 230° compas.

08H25 : J’ai enfin pu aller jeter un œil sur le pont. La GV est inutilisable car déchirée sur toute sa largeur entre le deuxième ris et le point de drisse. Le foc a l’air de tenir le coup... J’ai dû refaire l’arrimage de l’ancre et redresser le feu avant. Avec les paquets de mer qu’on s’est pris, et qu’on se prend toujours, c’était à prévoir.
Devant moi, une large étendue de ciel bleu. Je n’ose y croire.

09H00 : Mmmm... Que c’est agréable ces quelques rayons de soleil ! Le duvet, les matelas et la veste de quart vont pouvoir sécher. Le baromètre monte en flèche et la Boiteuse avance à 3,6 nœuds de moyenne dans une mer toujours en F5-6. Pour l’instant je prévois de rester au moteur jusqu’à 18H00. Après on verra.

Il faut quand même que je vous dise que ce matin j’avais vraiment le moral dans les chaussettes. Mais maintenant ça va mieux. Pour éviter de penser à la prochaine catastrophe qui va me tomber sur le coin de la gueule je me suis plongé dans la relecture de 1984 d’Orwell.

11H00 : Je pourrais faire une liste de tout ce qui va bien pour me remonter un peu le moral, mais finalement je n’en ai pas besoin. Je suis en bonne santé, le bateau avance et je ne suis plus vraiment en danger. Donc, tout va bien.
Je vais seulement arriver dans un endroit imprévu. Quand ? Je n’en sais absolument rien et ça n’a pas vraiment d’importance. Pour le reste, les réparations, le problème du visa, tout ça, il sera toujours temps d’aviser le moment venu.

12H00 : J’ai envoyé un peu de foc pour appuyer le moteur. Cap et route corrects. Le vent reste inchangé, toujours au Sud... J’espère que Hughes et Caroline s’en sont mieux sortis que moi... (*)

14H30 : Le vent a légèrement tourné au Sud-Est. J’arrête le moteur et continue avec une moitié de foc. Cap au 250°, 2,5 nœuds. J’espère qu’il va tourner encore un peu... Parce que remonter au vent avec juste une voile d’avant, je ne vous dis pas le cauchemar.

Au coucher du soleil... L'espoir.
Après avoir longtemps hésité j’ai décidé que même si les vents me devenaient favorables pour continuer, je m’arrêterai tout de même à Vitória. La raison principale est que j’en ai plein le cul. Et puis que si je décide de continuer, à l’allure où je vais vous allez vous inquiéter.
Et puis continuer en l’état serait prendre des risques inconsidérés. Enfin, je ne sais pas s’ils le sont vraiment, inconsidérés, mais je n’ai pas envie de les prendre. J’ai eu ma dose de stress pour un bon moment... Et d’ailleurs, c’est pas fini.
Et merde, pourquoi j’ai les larmes aux yeux tout à coup ? Allez mon Gwendal, te laisse pas aller. Tout va bien se passer. Tu vas t’en sortir.

16H30 : J’ai fini de lire 1984, et comme à chaque fois ce bouquin me laisse un arrière goût mitigé... Entre colère et colère. Malgré ce bouquin mondialement connu et paru en 1950, nous sommes en 2012 et la novlangue est devenue courante et la double-pensée une réalité...

18H00 : Fin de journée. Je suis content. Le cap est bon, droit sur Vitória à 250 milles. Si tout va bien je devrais y être dans deux ou trois jours. La mer, sans être très agitée, est encore secouée par de grosses lames. Comme si elle ne voulait, ou ne pouvait, se calmer. Pendant ce temps-là Papa joue un autre air dans la cuisine...
Je sais, c’est très confus ce que j’écris là, mais je suis fatigué moi-même.
Bon, une feijoada et au lit.

Le samedi 29 septembre 2012 – Une journée chargée.

05H00 : Le jour se lève et avec lui le vent qui nous a fait défaut pendant une bonne partie de la nuit. Le soleil apparait sur Bâbord arrière, ce qui me rassure sur mon cap : On fait bien du Sud-Ouest et pas de l’Ouest comme la nuit dernière. Je sais, le compas indique la direction vous allez me dire... Que nenni vous répondrais-je. Le cap compas c’est une chose et la route une autre. Entre les deux il y a la dérivation et la dérive.
Mais bon, il est peut-être un peu tôt pour un cours de maths vous ne croyez pas ?

06H30 : J’ai profité d’une brève pétole pour transvaser 20 litres de gasoil dans mon réservoir principal. Malheureusement, dans l’affaire j’ai perdu le bouchon dudit réservoir... Quel con !
Logiquement les bouchons sont assurés par une petite chainette ou un bout de ficelle, mais pas sur la Boiteuse bien évidemment.
Pas grave. Je le remplace par le bouchon du réservoir d’eau douce, que je bouche avec une pinoche. Quitte à prendre de la flotte, autant que ça ne soit pas dans le gasoil.

07H35 : J’ai remis une autre ligne de traine à l’eau. La dernière a disparue pendant la tempête. Je mangerais bien de la daurade moi...

10H35 : Bouh... Il s’est passé plein de choses depuis ma dernière trois heures. D’abord à 08H00 j’ai voulu allumer le moteur, et le démarreur a refusé de démarrer. Il m’a fallu une heure pour tout démonter nettoyer et graisser le bordel, pour enfin Mercedes consente à ronronner.
Ensuite, j’ai constaté que les batteries ne chargeaient pas... J’ai tout vérifié, mais rien ne me semble débranché.
113 cm pour 5,5 Kg
J’en étais à m’accorder une pause pour réfléchir, lorsque Touline me signale que la ligne de traine a frappé. Une Daurade ! (Comme quoi, il suffit de demander !). Le temps de remonter la bête (113 cm pour 5,5 Kg) et de la dépecer il était 10H25 et le temps a commencé à virer à l’orage. J’ai rallumé le moteur (impeccable) et nous filons maintenant au 230° à 3,5 Nœuds. Et moi je suis naze !
Bon, c’est pas tout ça, mais je termine ma pipe et ensuite je replonge dans le moteur pour voir ce qui cloche.

11H10 : Je n’arrive pas à trouver ce qui ne va pas avec ce fichu alternateur, et ça commence à m’inquiéter. Pour l’heure je laisse tomber et m’intéresse plutôt à la conduite du bateau. Le temps se couvre de plus en plus et je vois des cellules orageuses un peu partout autour de moi. Le vent est tournant, je n’aime pas ça. ;

11H25 : Je viens de terminer ma troisième touque d’eau potable. Ça veut dire que, hors cuisine, j’ai bu 1,3 litre d’eau par jour... C’est pas assez.

12H15 : Putain de merde ! C’est la journée des surprises ou quoi ? Alors que je remontais du carré après avoir fait mon point, et que je m’apprêtais à dérouler un peu de foc, que vois-je juste devant moi à cinquante mètres à peine ? Un bateau de pêche !
Ouf ! Encore un peu et je me le prenais de plein fouet... Du coup, comme je barrais, j’en ai profité pour en faire le tour et papoter avec l’équipage qui semblait tout content de croiser un voilier. C’était un poil surréaliste.
N’empêche à partir de maintenant nous sommes sur le plateau continental. Fini les grosses nuits et le bouquinage intensif. C’est vigilance à tous les étages.

A part ça nous sommes à 170 milles de notre destination, et nous y arriverons... je ne sais pas. (Lundi ?).

13H15 : Vous savez quoi ? Et bien je me suis encore régalé. Dommage seulement que je n’ai plus de beurre. A l’huile d’olive ça le fait aussi, mais c’est pas pareil.

Bom Dia !
13H35 : Pêcheur droit devant. Un autre. Sur ce coup là, c’est pas le bateau que j’ai failli me prendre, mais le filet qu’il venait juste de poser. Encore heureux qu’un type m’a fait des grands signes avec son teeshirt, parce que sinon...

14H45 : La houle est au Sud-Ouest maintenant, et le peu de vent qu’il y a je l’ai dans le nez. Je ne peux même pas utiliser le foc pour appuyer le moteur... Je ne comprends rien à ce qui se passe. C’est quoi cette météo ? On n’est pas dans le triangle des Bermudes pourtant...

16H30 : Le vent est là. J’arrête le moteur.

17H30 : Le vent a forci. F5 bien tassé. Putain de merde, ça n’en finira donc jamais ?

18H00 : Ca-y-est, c’est passé... Aussi soudainement qu’elle est apparue, la bourrasque s’en est allée. C’est vraiment une zone bizarre ici...
Bon, j’ai fais 20 milles en six heures. J’avance au 255°, et pour bien faire il faudrait que je fasse du 230°. Je n’ose pas allumer les feux de nave de peur de tuer mes batteries. J’ai l’estomac noué, et j’ai pas faim.

18H20 : Je me suis avalé une poignée de noix de cajou et j'ai donné un bout de poisson à Touline. J’ai comme une crise d’angoisse... Je vais essayer de dormir par petites tranches d’une heure maxi. Finalement j’ai quand même allumé les feux de position. Si les batteries doivent me lâcher ce ne sera probablement pas cette nuit vu que la dernière fois qu’elles ont été chargée c’était hier... Enfin, j’espère.

Le dimanche 30 septembre 2012 - Grosses bébêtes !

05H05 : Deux choses à dire ce matin. Non, trois.
Tout d’abord, lorsque je décide de me réveiller toutes les heures de moi-même, et bien ça marche !
Ensuite, que ça n’a servi à rien parce que je n’ai croisé personne.
Et enfin, que les batteries ont tenu le coup et vont pouvoir recharger un peu parce nous avons pour l’instant un ciel sans nuage, même si le soleil n’est pas encore levé.
A priori on n’a pas fait une route trop mauvaise. J’attends 06H00 pour vous confirmer ça.

Hier au soir, ça n’allait pas trop fort. A chaque fois que mon esprit se laissait aller à anticiper (ce qui est la principale qualité du navigateur solo quand même), j’avais les intestins qui se tordaient et des bouffées d’angoisse qui m’étreignaient la poitrine. J’ai préféré me réfugier dans le sommeil et les rêves pour passer ce moment difficile. Mais maintenant ça va mieux, rassurez-vous.

05H30 : BALEINE !!!!!
Wahou... Alors que je levais les yeux de mon cahier, j’ai eu la vision magnifique d’une baleine sautant hors de l’eau pour retomber sur le dos... Elle était sur tribord arrière. Puis, elle a nagé tranquillement pour rejoindre une autre baleine qui elle, faisait le poirier, battant l’océan de sa formidable nageoire caudale. Splendide moment. Émouvant, fantastique... Du genre à vous récompenser de tous vos efforts et effacer tous vos soucis.
J’ai essayé de prendre quelques photos, mais je crains n’en n’avoir réussi qu’une seule... Celle-là.


Le spectacle aura duré dix minutes, puis elles ont disparu alors que la Boiteuse continuait sa route. Bouh... Je suis tout tourneboulé et je le visage qui me chauffe. Brûlant d’excitation !

06H00 : Bon, Réfléchissons. Il me reste 130 milles à faire au 230° et dix-sept heures de carburant. Là, avant le vent qui se lève j’arrive à peine à faire un cap au 245°... On va continuer encore un peu comme ça.

06H20 : Une autre baleine, loin sur tribord avant.

07H40 : L’eau a changé de couleur, nous sommes par des fonds de 30 à 50 mètres. Tu m’étonnes qu’il y ait des baleines par ici, c’est idéal pour faire mumuse.

11H15 : C’est la presque-pétole. Moi qui caressais l’espoir d’arriver demain, c’est râpé.

12H00 : 2,5 Nœuds de moyenne ce matin. J’allume le moteur.
L’alternateur ne fonctionne toujours pas. J’ai coupé la radio et n’utilise plus aucun autre appareil en dehors du GPS. Heureusement, la batterie de mon PC est pleine à 70%.
Sinon, à part ça ? Daurade bien sûr ! Que je vais faire bien cuire, car j’ai repéré quelques vers blancs qui se baladaient dans la chair.

15H00 : Je viens de passer un bon moment à tripatouiller mon circuit électrique. Visuellement, rien ne cloche. En désespoir de cause j’ai mis mes batteries en parallèle. Si la batterie moteur charge un peu, peut-être qu’elle en fera profiter celles de service ? J’espère que je ne fais pas une connerie...

17H45 : Arrêt moteur.

18H00 : Bon, les enfants il reste encore 92 milles à faire. Sans doute un peu plus parce que le vent ne veut toujours pas nous aider (‘foiré !)
On va essayer de ne pas trop s’écarter de la route prévue, et pis surtout on va ouvrir l’œil pour éviter les plateformes pétrolières qui vont commencer à pousser comme des champignons.
Comme hier, je n’ai pas faim. Mais ce n’est pas entièrement la faute du stress, j’ai trop mangé ce midi.

Le lundi 1er octobre 2012 – Whale-watching.

05H10 : Nuit calme. Très calme. Affreusement calme.
Depuis minuit c’est la pétole de chez pétole. Pas un souffle, pas une risée, rien. A quelques milles sur bâbord j’aperçois les lumières d’une des deux plateformes pétrolières qu’il y a dans le secteur.
Les batteries ont tenu le choc, et les feux sont restés allumés toute la nuit. C’est bien.

06H00 : Les choses se présentent plutôt bien. Pendant la nuit nous avons fait 27,5 milles dans la bonne direction, il nous en reste donc 67,5 à faire. Il me reste 11H15 de moteur... Soit environ 45 milles. Reste 22,5 milles à faire à la voile.
Sachant que je préférerais arriver de jour dans ce port inconnu, la question est donc : Qu’est-ce qu’on fait ?
Et la réponse à cette question est qu’on est encore bons pour 24 heures en mer. Je vais rester à la voile toute la journée, en espérant que le vent se lève, et je garde le moteur pour l’arrivée demain matin.
Demain matin... Putain, vous n’imaginez pas le plaisir que j’ai à écrire ces deux mots !

06H25 : Cela ne fait que quatre jours que la tempête m’a cueilli. J’ai l’impression que ça fait une éternité.

07H50 : Je barre depuis plus d’une heure, en attendant une risée qui ne vient pas. Au loin, des baleines s’amusent. Je vois deux groupes, hélas beaucoup trop éloignés pour prendre des photos. Ca y-est, le vent se lève. Ouest, tu le crois ça ? Du coup le temps de régler ma voile j’en ai perdu mes baleines... Fait chier !
Debout sur les bancs je fais du Whale-watching !

Salut vous !
11h00 : C’est le bruit du souffle qui a attiré mon regard vers l’arrière de la Boiteuse. Elle était là, nageant tranquillement à moins de 100 mètres de mon sillage. Elle s’est tournée un moment sur le flan, comme pour me saluer de sa nageoire, puis elle a sondé... J’ai juste eu le temps de photographier sa queue avant qu’elle ne disparaisse.

11H45 : C’est incroyable ! J’étais en train de lire, la Boiteuse clapotait doucement dans la pétole quand j’ai soudain entendu comme un grincement de vieille porte en fer forgé en même temps que des craquements sec, comme si tout le bois du bateau était en train de sécher. Au début, je me suis inquiété en me demandant ce qui était en train de passer, puis le grincement a commencé à devenir plus harmonique... Jusqu’à devenir mélodieux. J’étais en train d’entendre le chant des baleines ! J’ai collé mon oreille contre le fond du bateau, et là j’ai été scotché par le bruit que ça faisait. Un son puissant, qui vous prenait aux tripes. J’en avais les poils qui se dressaient sur mes avant-bras...

12H00 : Les baleines sont parties, et la Boiteuse continue à rester clouée sur place sous un soleil de plomb. J’ai fait 10 milles en six heures... Je n’ai pas faim.

12H30 : J’ai quand même réussi à avaler un bol de nouilles, mais vraiment sans conviction. Ça me tue cette pétole...

12H45 : J’allume le moteur, j’en ai marre d’être scotché comme ça. Et puis comme ça, ça me fera un compte rond et je n’aurais plus que dix heures de moteur pour cette nuit et pour demain.

15H00 : Enfin un peu de vent. Tout au plus quelques rides sur le bleu de l’océan, mais cela suffit pour faire route sans avoir à barrer.

16H25 : J’ai au moins trois plateformes devant moi, et elles ne sont pas sur la carte.

Bientôt
17H05 : Le vent se lève pour de bon de l’Est. Ce pourrait-il qu’enfin j’ai un peu de bol dans cette fichue navigation ?

17H45 : TERRE !!! Je vois des montagnes sur tribord ! Vous voulez que je vous dise ? J’ai l’impression d’avoir fait un long, un très long voyage, et la vision de ces montagnes au loin est une récompense... Un soulagement aussi. Bref, je suis heureux.

18H00 : Yes ! Il reste 50 milles à faire, qu’on va s’avaler tranquillou avec ce souffle qui nous propulse à trois nœuds au grand largue. Droit sur Vitória, dans l’état do Espírito Santo. Et demain matin, on termine au moteur... Je vais essayer de ne pas trop dormir cette nuit. C’est truffé de plateformes et de pêcheurs qui illuminent l’horizon.
Ah tien ! Pour info, Touline a été particulièrement déchainée aujourd’hui. Est-ce le bateau empétolé qui lui a donné l’envie de courir partout et d’essayer de grimper au mât ? Je vous jure qu’elle a voulu le faire ! Et je ne vous raconte même pas le bruit des griffes qui glissent sur l’alu... Argh !
Bref, j’ai dû l’enfermer presque toute la journée. Mais je n’arrive pas à lui en vouloir... Pour elle aussi c’est dur.

18H45 : D’après le guide nautique, le Iate Clube de Vitória dispose d’un restaurant et d’une piscine. Bon, la pistoche je m’en tape, mais je peux vous dire que demain je me fais un resto !

19H00 : La lune se lève. Elle est pleine ce soir. Nickel.

22H00 : Impossible de fermer l’œil. C’est dingue le nombre de navires qui croisent dans le périmètre ! Pas moins de six lumières à l’horizon, sans parler des plateformes qui illuminent la nuit comme de véritables villes.

Le mardi 02 octobre 2012 – Enfin ?

00H00 : Il reste 30 milles à faire... J’abats de 20°.

03H00 : J’ai réussi à dormir un peu. Une heure et demi tout au plus. Plus 20 milles.

04H20 : Incroyable, le vent est tombé d’un coup avant de virer à 180° !

04H30 : J’allume le moteur. Le ciel s’éclaircie à l’Est. J’ai réussi à dormir une heure de plus.

Terre !
05H00 : Le jour se lève, et j’aperçois en même temps les lumières de la ville ainsi que des immeubles avec de grosses collines derrière. On dirait un peu le genre de relief qu’il y a à Rio.
Ça vous étonnerait si je vous disais que malgré la fatigue, j’ai un franc et grand sourire sur le visage ? Non, je ne pense pas... Parce que vous aussi j’imagine, après tout ce que vous venez de lire, vous avez envie que ça se termine. Et c’est bientôt terminé. Dans quatre heures, cinq tout au plus, on est au port.
Au fait, les batteries ont, par je ne sais quel miracle, tenues, et j’ai pu avoir du jus toute la nuit. Par contre je crains qu’on ne soit au bout de leur capacité. Le voyant qui veut dire « magne toi de m’envoyer des ampères » est au rouge écarlate.
Je ne vous cache pas que lorsque le moteur à démarrer au quart de tour tout à l’heure, j’ai poussé un ouf de soulagement, parce que je n’étais vraiment pas sûr d’avoir assez de batterie pour qu’il puisse démarrer...

06H00 : Baleine !!! Droit devant, en plein milieu des navires au mouillage. Elle saute et donne de grandes claques sur l’eau avec sa nageoire ventrale.

06H25 : Touline a un comportement étrange... Elle a passé un petit moment à regarder la baleine et les bateaux ancrés dans la baie, puis à me regarder moi en train de m’affairer à ranger le cockpit, pour ensuite aller d’elle-même se percher sur l’étagère de la salle de bain. Comme si elle avait compris qu’on arrivait et qu’il fallait qu’elle rejoigne son poste. Vraiment étrange. C’est qu’elle est futée ma Touline !

Vitória
07H50 : On approche. C’est marrant, mais j’ai l’impression que la ville est surplombée par un pain de sucre elle aussi !

08H00 : Je passe les premières bouées du chenal d’entrée. Je suis à la barre.

09H15 : Passé la Ilha do Boï et la Ilha do Frade, j’aperçois la marina au fond d’une petite baie. Les fonds sont hyper hauts, il faut que je sois prudent... J’appelle la marina sur le canal 69, personne ne répond.

09H35 : Et merde... J’ai touché. La Boiteuse s’est plantée dans un haut fond à cinquante mètres à peine de l’entrée de la marina. Putain de pilotes à la con qui ne répondent pas quand on a besoin d’eux !

09H55 : Bon ben les enfants on est coincé pour un petit moment. J’ai jeté l’ancre, et j’attends que la marée monte. Je suis dans une petite anse avec de jolies villas et j’entends un air de salsa qui vient de je ne sais où... Je peux souffler, vous croyez ? Non, pas encore. Il reste cinquante mètres.

11H05 : J’attends toujours que la marée monte...

12H00 : C’est bon, j’ai réussi à me dégager. J’ai démarré le moteur et j’ai relevé mon ancre, et je fais des ronds dans l’eau en attendant que ces messieurs daignent venir me filer un coup de main pour m’aider à m’amarrer.

13H00 : Enfin y’en a un qui se décide. Il me rejoint avec un dinghy et monte à bord pour pouvoir lancer les pointes avant pendant que je gère la barre. Soudain, alors que je passais la marche arrière le moteur s’arrête ! Je me précipite à l’avant pour balancer l’ancre. Celle-ci tarde à accrocher, et pendant que le bateau dérive vers la plage je balance toute la chaine. Ouf, ça-y-est on est immobile !
Je descends pour voir ce qui c’est passé et une fumée acre me prend à la gorge. Putain de merde ! J’ouvre le moteur et je vois de la vapeur qui sort bruyamment du carter. Le moteur a chauffé et la température est montée jusqu’à bloquer l’aiguille du thermostat. Soudain je réalise que dans ma précipitation à vouloir absolument arrivé, j’ai oublié d’ouvrir la vanne d’eau de mer... Je crains le pire. Mais quel con, quel con, quel con !!!

Au mouillage
15H00 : Le moteur a refroidi et j’ai remplacé le liquide de refroidissement évaporé par de l’eau douce. A priori pas de dégâts, j’arrive à redémarrer Mercedes. Sauf que maintenant à la radio on me dit qu’il y a trop de vent et qu’il va falloir attendre... Putain de bordel, mais jamais je vais pouvoir en finir avec cette nave ! Et avec cette journée !

15H55 : Ça n’a pas l’air de se calmer... Bordel, je déteste être au mouillage ! Il n’y a rien qui m’énerve plus que de rester là, planté au milieu de rien. En plus, vu le niveau de charge des batteries je ne suis même pas sûr de pouvoir redémarrer de nouveau...

17H00 : Je viens d’appeler les marineros. Ils m’ont dit que j’allais devoir attendre demain. Sur le coup j’ai gueulé, mais j’ai vite compris que je n’avais pas trop le choix... Je vais gonfler Miss B et mettre le moteur hors-bord en fonction et descendre à terre. J’en ai plein le cul.

21H00 : Je suis allé faire un tour à terre. J’ai pu prendre une douche et me raser, et j’ai dîné au restaurant de la marina. Là, je vais aller me coucher car je suis fatigué... Je hais les mouillages ! Pour moi, c’est exactement comme si j’étais toujours en navigation. Le vent est tombé mais il fait nuit, la Boiteuse se balance doucement et j’ai une vue sur les immeubles du bord de mer... Mais je suis toujours en mer. Je ne suis pas arrivé. Pas encore.

Le mercredi 04 octobre 2012 – Enfin !

Enfin !
08H00 : Bon, maintenant y’en a marre. Ces cons de marineros me disent qu’ils sont occupés et qu’il faut j’attende. Non j’attends pas ! Si le vent se lève je suis bon pour une autre journée à rester comme un con au bout de ma chaine ! Quoi qu’il arrive j’y vais.

09H00 : Et bien on y est ! Heureusement, j’ai pu avoir un coup de main du bateau voisin, et j’ai pu enfin m’amarrer et couper le moteur. Bienvenu à Vitória qu’ils m’ont dit... Ouais, c’est ça... J’espère bien que je suis le bienvenu ! Après tout ce que j’ai dû endurer pour en arriver là !

Bon allez, c’est finit maintenant. Ce périple de 1250 milles se termine enfin, et je vais maintenant m’atteler à la tâche pour réparer, ou faire réparer tout ce qui a été cassé. La voile, le régulateur, le moteur... J’ai du boulot.

(*) Hughes et Caroline ont été prévenus par mail mardi matin qu’un couloir de vent était en train de se former entre deux systèmes de haute pression, et ont eut le temps de se réfugier à Caravelas (sic !), où ils sont arrivés le mercredi à midi. Pendant qu’ils ralliaient leur abri, ils sont entrés en contact avec cinq cargos qui remontaient, leur demandant s’ils me croisaient de me prévenir qu’un coup de vent arrivait et qu’il fallait que je me planque.
Hélas, je n’ai croisé personne...

Ça y-est, c'est fini ?