dimanche 16 septembre 2012

Impressions et préparation

07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Moi aussi j'ai pas envie de partir !
Je m’aperçois que depuis mon arrivée au Brésil, je vous ai surtout parlé de ma petite vie au quotidien (bon en même temps ce n’est pas inintéressant non plus), et pas trop du Brésil tel que je pouvais l’observer, avec mes yeux plein de préjugés idéologiques occidentaux un peu radical sur les bords. Je vais donc aujourd’hui essayer de remédier à ça, en vous brossant à la vas vite une petite description parfaitement subjective de quelques trucs bizarres que j’ai pu croiser depuis mon arrivée. Des trucs qui m’ont plu, amusé, choqué ou bien intrigué. Bref, voici donc quelques clichés du Brésil, ou du moins de la toute petite partie du Brésil que j’ai sous les yeux. Clichés pris parfois, je le reconnais, avec la mauvaise foi qui peut me caractériser. (C’est bon, j’ai assez pris de précautions oratoires ? On peut y aller ?)

Tout d’abord, il faut arrêter avec le cliché occidental qui décrit le Brésil comme un vivier sans fond de jolies nanas dénudées. Les brésiliennes ne sont pas toutes des bombasses, loin s’en faut. Je dirais, pour faire simple, que tout dépend du niveau économique de l’endroit où vous vous trouvez, et que la beauté est proportionnelle au statut social. En l’occurrence, dans le petit village de pêcheurs où je vis, je croise plutôt des petits pots à tabac, alors que lorsque je vais à Joao Pessoa, près du cartier de Tambau, je croise plutôt des canons de la mort qui tue.
Ma copine et moi, on tient le bar !
Cela dit, avec le climat (là on est en hiver et il faisait déjà 35°C à 08H00) le minishort et le débardeur sont de rigueur quel que soit le statut social. Ce qui fait que j’ai l’impression que finalement tout le monde s’en fout. T’es moche et grosse, et bien c’est pas grave !
On est loin, je trouve, de l’image de la brésilienne hyper sportive et folle de son corps. Ce genre de maladie mentale ne semble atteindre en fait qu’une très faible partie de la population. En l’occurrence celle qui est pétée de thune.

Au début, j’ai été choqué par le nombre de panneaux signalant que tel ou tel lieu était sous la « protection » d’entreprises de surveillance armée, ainsi que par la propension à foutre des barrières et des barbelés un peu partout. Limite on pourrait croire à une espèce de paranoïa ambiante tellement certains quartiers ressemblent à des camps retranchés. Ici ils appellent ça des condominiums. Ce sont des résidences pour super-riches avec tous les services possibles leur permettant de vivre en quasi autarcie, complètement déconnectés de la réalité.
Certes, il y a beaucoup moins de flics dans les rues que ce que j’ai pu voir dans les années quatre-vingts, mais j’ai l’impression que ceux qui en avaient les moyens ont tout simplement décidé que les pauvres n’étaient décidément pas des gens fréquentables... Et ont fait en sorte de s’en protéger par eux-mêmes. C’est très déstabilisant.
Sinon, essayez de ne pas vous trouver près d’une boutique lorsque les convoyeurs de fonds viennent récupérer la recette, je vous jure que vous allez flipper ! On les croirait sortis tout droit d’un film de guerre, et le coup de se faire écarter sans ménagement du chemin avec le canon d’un fusil à pompe a de quoi vous glacer le sang, croyez-moi.
Sinon, comparé à ça, le contrôleur de train qui porte un gilet pare-balle et un holster à la cuisse dans lequel est glissé son carnet de contravention, ça fait plutôt rigoler.

D’un point de vue politique, je vous avoue que le Brésil me déçoit quelque peu... Bon ok, je n’ai pas encore fini de tout comprendre, loin de là, mais il est un exemple que je voulais vous citer, et qui me semble assez symptomatique de ce qui se passe ici. En ce moment a lieu la campagne électorale pour l’élection des conseillers municipaux (vereadors). Sur la Ville de Cabedelo (50 000 habitants), neuf postes sont à pourvoir et il y a... 196 candidats !
La sono à fond, comme toujours...
Ici, point d’idéologie, point de programme, point de partis... Chacun se présente pour sa gueule, les 4000 réais de salaire qu’offre le poste, et surtout l’accès à un petit pouvoir qui permettra aux heureux élus de vivre très confortablement des fruits de leur corruptibilité. Car il semblerait que le fléau de la corruption sévisse ici, comme dans toute l’Amérique du Sud... Je n’y ai pas été confronté directement, mais hélas les témoignages ne manquent pas.

Sinon, dans un registre plus léger, il faut que je vous parle un peu de la bouffe... Et plus particulièrement de ce qu’est une churascaria. La churascaria, qu’on retrouve aussi en Argentine, est un restaurant où l’on sert principalement de la viande, mais pas que. Pour un prix d’entrée unique (25 R$, mais on peut trouver moins cher), vous avez aussi pour les moins carnivores d’entre vous, la possibilité de puiser à volonté dans un buffet très bien garni. Mais le top du top, reste les grillades... Bordel que c’est bon ! C’est bien simple, sitôt avalé mes premières bouchées, j’ai réclamé à corps et à cris qu’un jour on m’enterre sous le carrelage du restaurant ! 
Miam !
Imaginez un peu... Toutes les viandes possibles et imaginables, issues de toutes les parties comestibles de la vache, du mouton, du porc, du poulet, faisan (cuisses de faisan marinées au champagne et rôties !), du buffle, que sais-je encore ! Toutes sortes de saucisses ! Le tout cuit à la perfection, au feu de bois, à la verticale, et servi par une noria de serveurs qui se font un honneur de vous remplir l’assiette autant de fois que vous le voulez ! Un paradis vous dis-je !
Sur la table vous avez un petit signal qui lorsqu’il reste au vert proclame à tout le monde que vous désirez être approvisionné. Et quand vous êtes sur le point d’éclater, ou que vous voulez faire une pause, il suffit juste de tourner la mollette et d’afficher : Não Obrigado !
Pour ma part, je me suis pété le ventre... Et je garde un souvenir ému de cette soirée qui fut certes conviviale, mais surtout pantagruélique !
Nota bene pour les végétariens : Les fruits et les légumes feront sans doute l’objet d’un article dédié (c’est comme ça qu’on dit lorsqu’on a du métier !)

Bon voilà, je crois que ça suffit pour aujourd’hui... L’avitaillement de la Boiteuse est fait et nous devrions partir mardi matin. Je dis nous, car pour avoir enfin le courage de bouger mes fesses et de larguer les amarres, je me suis accroché à la remorque d’un autre bateau ; Loïck pour ne pas le nommer. Nous descendons donc vers le sud et devrions atteindre la ville de Parati d’ici une quinzaine de jours. Sans doute moins, mais les anxieux seront tout de même priés d’attendre au moins trois semaines sans nouvelles avant de déclencher le plan ORSEC. Merci bien.

Allez, je vais vous laisser... J’ai encore quelques rangements et la révision du moteur à faire. De plus il est midi passé, et j’ai faim ! A te logo !

A te logo Cabedelo !

mardi 11 septembre 2012

C’est compliqué d’être un humain



07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil
 
Quelques mots, une bafouille tout au plus, pour vous décrire ce qui se passe dans les replis obscurs de mon cerveau.
A l’heure où je tape ces mots, je devrais être en route pour la Capitainerie du port de Cabedelo pour effectuer ma sortie de l’état... Entre parenthèse, voilà encore un truc qui me fout les boules. Je crois que je n’arriverai jamais à comprendre ces pays qui ne sont que des amalgames inégaux d’états plus ou moins indépendants, avec leurs administrations propres et leurs lois qui diffèrent, voire se contredisent. Bref, le fédéralisme m’emmerde.

Mais bon, revenons à nos moutons, je devrais y être et je n’y suis pas vous disais-je. La faute à une belle et bonne crise de « pas envie ». Pas envie de partir de Jacaré, de laisser mes potes et ma tranquillité. Pas envie de céder au côté raisonnable de la chose qui devrait me voir prendre la mer contre vent et marées alors que le bonhomme lui, n’aspire qu’à humer l’air du temps et à siroter des jus de cajou.

Ces derniers jours m’ont vu préparer la Boiteuse alors que mon esprit rechignait à partir. Je ne vous dis pas la schizophrénie qu’engendre une telle activité... Limite vous avez envie de chialer tellement l’écartèlement est douloureux. Vous êtes là, vos mains travaillent, vos mots proclament haut et fort votre intention, mais votre tête ne cesse de chercher une excuse, un prétexte, pour procrastiner. Sans parler de la culpabilité qui vient s’insinuer, visqueuse et puante, alors que franchement on ne lui avait rien demandé.
C’est que mine de rien, la liberté ça vous rouille les articulations de la tête. A force de faire un peu comme vous l’entendez, se voir forcer la main par un règlement à la con, peut vite devenir insupportable. Ou plutôt douloureusement surmontable... Et je n’ai pas choisi cette vie pour me faire du mal.

Donc voilà, je remets mon départ à plus tard. Je partirai parce que j’en aurai envie, et non pas parce que je le dois. « Jouir sans entrave » disait-on en 68, et c’est bien ce que j’ai l’intention de faire, autant qu’il me sera possible.


Cela dit, bientôt tous ceux avec qui j’ai tissé des liens auront eux-mêmes mis les voiles, et il se peut que je me retrouve bientôt comme une âme en peine. Le départ deviendra alors sans doute plus naturel... On verra.
En attendant, et puisqu’on en parle, même si on sait que la terre est ronde et que les routes de navigations se croisent toutes, il y a des séparations qui sont plus douloureuses que d’autres. Je pense à Hughes et Caroline, ou bien à Michela et Francesco par exemple, qui sont des gens formidables. Ou encore la charmante et magique Zoe, que j’aurais aimé connaitre mieux... (Foutue timidité !) M’enfin, on peut toujours croire que nos sillages se croiseront de nouveau, mais personnellement je ne crois pas que j’arriverais un jour à me blinder contre ça. Je ne sais pas si j’ai envie de me blinder contre ça.

Bordel ! Même libéré de la plupart des saloperies qui vous pourrissent la vie au quotidien, on est quand même capable de s’inventer des trucs qui font mal... C’est compliqué d’être un humain, moi je vous le dis ! 

PS : Je viens de me rendre compte que mon titre contredisait celui de l'article précédent. Ne vous inquiétez pas, c'est normal. Je ne suis, nous ne sommes, que des paradoxes ambulants.

Cinq heures de boulot pour nettoyer la coque
Le fleuve est à marée basse, comme moi...

vendredi 7 septembre 2012

Des trucs pas compliqués


07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Ceux qui me suivent depuis assez longtemps savent que ma principale occupation consiste surtout à trouver comment en faire le moins possible. Je sais, c’est très politiquement incorrect, c’est même révolutionnaire quelque part... Mais que voulez-vous, je n’aime rien de plus que glander toute la journée.
Bien sûr, avec une telle philosophie, ne comptez pas sur moi pour vous narrer je ne sais quelle visite de musée, car à moins que celui-ci ne se trouve sur mon chemin direct, je n’irais pas. C’est trop fatiguant.

Nonchalance

Moi mon bonheur, j’aime à le voir de ma fenêtre. Enfin, de mon cockpit si vous préférez.
Une barque passe à frôler l’arrière de la Boiteuse,  un type sans âge pagaie silencieusement alors que son compagnon de pêche frappe l’eau avec une grande perche pour rabattre les poissons vers les filets. Une femme marche sur la grève avec une petite épuisette et une tête de poisson pour attirer les crabes bleus, qu’ici on appelle sidis. Un gamin sur son âne mène quelques vaches au pré... Voilà ce qui suffit à mon bonheur. Des petits moments de vie. Des trucs pas compliqués.

Anglais obligatoire
 Boire un jus de fruit le soir en discutant avec des gens venus des quatre coins de la planète. Entendre parler l’anglais avec l’accent finlandais, suédois, allemand, suisse-allemand (c’est pas pareil !), américain, italien, néozélandais, brésilien, argentin, sud-africain, coréen, thaïlandais, français...Tout ça au cours de la même journée ! Découvrir des sourires et des vies fantastiques. Des cons aussi bien sûr... Mais vraiment très peu, car le voyageur est forcément moins con que la moyenne. Je ne dis pas ça pour me moquer ou me vanter, croyez-le, c’est juste un constat.

Mais bon, j’ai beau tout faire pour que ma vie soit comme ce fleuve que j’ai sous les yeux tous les jours, tranquille, il arrive forcément un moment où l’on doit s’arracher à la contemplation, à la nonchalante douceur de vivre.
Le temps file mes amis, et file vite. Voilà déjà un mois et demi que je suis à Jacaré, et si je veux pouvoir rallier des pays plus conciliants avec l’immigré français que je suis, il ne faut pas que je traîne trop. J’entends déjà les voix des mes aînés me murmurer à l’oreille que je n’arriverai pas à rejoindre l’Uruguay avant le 21 octobre...

Le jouet de Monsieur est avancé
Mais qu’importe, je me prépare à reprendre la mer pour la semaine prochaine, direction Salvador do Bahia, première des trois ou quatre étapes qui me verront longer les côtes du Brésil.  La navigation ne sera pas simple, car près des côtes et contre le vent et les courants, mais je ne désespère pas de rallier Salvador en une semaine. Peut-être plus, peut-être moins, vous connaissez désormais la chanson.
La Boiteuse est de nouveau armée pour affronter les flôts, et moi on va dire que je suis encore en train de fourbir ma motivation... C’est qu’il est dur de s’arracher à la nonchalance du fleuve. Très dur.

Aujourd’hui, 07 septembre, c’est la fête nationale au Brésil. A la marina d’à côté, un port à sec, une noria de tracteurs s’est démenée dès hier pour mettre à l’eau les grosses vedettes de luxe où viendront se pavaner les nantis du coin. Je pressens un après-midi bruyant et mouvementé... Alors qu’à cent mètres à peine, derrière un mur décrépi, un gamin et un cheval joueront peut-être ensemble.
C’est ça le Brésil de 2012. Il n’a pas vraiment changé depuis ma venue en 1988...Sauf que les riches encore plus riches, et les pauvres sont toujours aussi pauvres.

Le Brésil un miracle économique ? Visiblement pas pour tout le monde...

Le fleuve et ses trésors