vendredi 31 août 2012

Jouons un peu



07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil



Je suis sûr qu’à la vue de cette photo, vous êtes nombreux à vous demander : Mais qu’est-ce donc que ce machin là ? Et même que les plus gourmands d’entre vous doivent se demander si ça se mange et comment on doit le préparer !
Et bien, comme je suis d’humeur taquine, je vais vous laisser plancher là-dessus tout le weekend !
Bien évidemment, ceux qui savent sont priés de se taire, sinon le jeu n’aura plus de sens et on ne pourra plus se moquer des propositions saugrenues de ceux qui ne savent pas. Car c’est une peu la finalité du truc, mine de rien.

Sinon, toujours dans la déconne, je voulais dédicacer la photo qui suit...

A mon amie Lucifer !
 Voilà ma chère, tu n’as plus qu’à venir en profiter, ton hamac t’attend !

Et pour finir en apothéose ce guilleret billet, je vous annonce que vous allez pouvoir me retrouver en train de causer dedans l’émission Allo la Planète, sur le Mouv’ bien sûr. Lundi 03 septembre, entre 13H30 et 15H00. 


J’aurais le plaisir de papoter avec l’ami Éric Lange et je crois même qu’on devrait causer de ma transat en (presque) solitaire. A bientôt sur les ondes !

mardi 28 août 2012

Rentrée


07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

C’est bête, mais tel que vous me voyez là, je ne sais pas trop quoi vous raconter. C’est la rentrée médiatique en France et les lecteurs qui avaient quelque peu désertés ce blog reviennent petit à petit, alors je me dis que par respect pour eux, pour vous, il faut bien que je vous donne quelques nouvelles.
Bon, vous allez me dire que rien ne m’y oblige, que je fais ce que je veux. Que si je n’ai pas envie d’écrire, je n’écris pas... Et vous aurez raison. Et en même temps... En même temps je ne peux m’empêcher de culpabiliser comme un con. J’ai encore pas mal de boulot si je veux arriver à me débarrasser de mes réflexes conditionnés d’homme occidental. Mais le veux-je vraiment et est-ce utile pour moi, là est la question.

Bon, foin d’atermoiements, passons aux dernières nouvelles. Laissez-moi deux minutes le temps de regarder les dernières photos que j’ai prises... Il y a sans doute là matière à discutailler.

Jolie maman
Vendredi dernier j’ai été invité à Ribeira, pour un churasco organisé pour les 66 ans de Joël (un type extra). Donc, dans la matinée j’ai pris la lancha de service pour qu’elle me fasse traverser le fleuve. J’adore ce moyen de transport... Tellement pratique et peu onéreux (2 R$ = 0,80 €), il permet d’effectuer en un quart d’heure le trajet qui demanderait 40 kilomètres à une voiture. Le parasol est l’accessoire indispensable, pour se protéger du soleil bien sûr, mais d’abord et surtout pour servir de pare-embruns !
La barque a contourné l’île, longé la mangrove et emprunté un autre bras du fleuve pour arriver jusqu’à la petite marina de Ribeira. En fait de marina, il s’agit plutôt d’un ponton privatif pouvant accueillir une demi-douzaine de voiliers à faible tirant d’eau. On est là chez l’habitant. La douche c’est la sienne, la pièce commune c’est son salon... Bref, les voyageurs sont plus des invités que des clients. Personnellement je goûte peu ce genre de promiscuité, mais je sais en comprendre le charme. On est à cent lieues de tout, dans ce petit village de quelques centaines d’habitants. Perdu au milieu des cocoteraies... Du coup les difficultés d’avitaillement passent au second plan, tant le cadre est reposant.

Mon portugais s'améliore !
L’après-midi passé à discuter politique avec le propriétaire des lieux fut également pour moi d’un grand intérêt. J’ai pu apprendre plein de choses sur la manière dont fonctionne le Brésil. Mais si vous me le permettez j’attendrais un peu avant de vous pondre un truc là-dessus. Tout cela demande encore à être fouillé et mis au clair par votre serviteur, tant les contrastes sont flagrants dans ce pays. Et puis il y a des trucs que je n’arrive pas encore à comprendre tout à fait...

Bref, après-midi sympa et retour en lancha à la nuit tombée, pour enquiller directement sur une soirée brochettes avec d’autres copains. Heureusement que je ne bois plus, parce que là, c’est sûr, j’aurais fini sous la table. D’ailleurs j’en connais... Mais bon, je ne citerai pas de noms !

Dimanche nous avons eu la surprise de voir débarquer une école de capoeira venue de Joao Pessoa pour une démonstration.
Franchement, je ne suis pas vraiment fan. C’est beau, d’accord, mais on s’en lasse assez vite. Mais je reconnais volontiers que là encore mon cerveau conditionné m’empêche peut-être d’apprécier les subtilités de ce « sport de combat », qui est plus à mes yeux une danse qu’un art martial... Ce sont sans doute ces quinze années de judo que j’ai dans les pattes (et dans les bras !) qui m’empêche d’apprécier... Sans doute.
Et puis il y a un côté hautement religieux dans la capoeira (en tout cas telle que je l’ai vue pratiquée ici) qui m’exaspère au plus haut point. D’après ce que j’ai compris des chants qui rythment les passes entre les « joueurs », on est carrément dans une espèce de démonstration-prière lancée à la face de Dieu pour qu’Il soit favorable aux capoeiristes. C’est déroutant en ce qui me concerne, et ça ne correspond pas vraiment à ma vision de ce qu’est un art martial. Mais bon, il n’empêche que c’est joli à voir !

Vous me reconnaissez ? Je suis un arbre à pain !
A part ça, la Boiteuse est presque prête à prendre la route. Son génois déchiré a été réparé, ainsi que le régulateur. Je n’ai plus qu’à faire quelques bricoles, et surtout attendre une fenêtre météo favorable pour reprendre la route en direction du Sud.
L’Uruguay et l’Argentine m’appellent, en même temps que le Brésil me pousse vers la sortie... Plus que 53 jours avant l’expiration de mon visa, je vais devoir faire fissa.

Bon ben finalement j’aurais réussi à vous écrire quelques lignes pour accompagner mes dernières photos. Allez, je vous laisse et à la prochaine ! 

Marina Ribeira
Très bucolique n'est-ce pas ?
Cocoteraie
Hop !
Le berimbau
Mixte
Prière et signe de croix avant la démonstration...
La leçon de morale qui va bien... (ou pas)
Une trogne
Une tronche

lundi 20 août 2012

Les oiseaux du fleuve


07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Je vous ai déjà parlé de ces lanchas. Oui, vous savez, ces pirogues qui servent aussi bien à traverser le fleuve en jouant les bateaux taxis, qu’à la pêche. Dès cinq heures du matin, alors que le soleil se lève à peine, on entend le bruit caractéristique de leurs moteurs deux temps, et leurs coques multicolores font partie d’une certaine image du Brésil, au même titre que la caipirinha ou la samba.

Oui mais voilà, il fut un temps où le moteur n’existait pas, et où seul le vent propulsait ces barques toutes simples. De nos jours, elles ne revêtent leurs beaux atours que pour satisfaire à quelques compétitions, ou pour enchanter les nostalgiques. Les férus d’esthétique aussi...

Car elles sont magnifiques.



Voilà donc ce que j’ai eu la surprise de découvrir un beau matin. De splendides voilures, taillées dans un tissu qui ressemble un peu à du taffetas. Fragiles. Puissantes. La bôme est plus longue que le mât, la toile est complètement surdimensionnée par rapport à la coque qu’elle est sensée propulser. La pirogue devient alors avion, fusée, oiseau. Elle vole littéralement sur l’eau, ne tenant son fragile équilibre qu’à la grâce d’un acrobate et d’une planche en bois.



Je n’aurais pas cru que ces barques, ces pirogues, toutes simples, pouvaient se transformer en oiseaux... Et pourtant, à mon sens c’est bien le cas.






mercredi 15 août 2012

Virement de bord

07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Lorsque j’ai posé le pied sur le ponton vert de la marina de Jacaré, je ne vous cacherais pas que la perspective d’être dégouté à jamais des voyages au long cours m’a effleuré l’esprit. Mais je savais au fond de moi qu’il ne s’agissait là que d’une réaction normale après ces longues semaines de mer, et qu’il allait me falloir laisser passer un peu de temps pour digérer tout ça, et ne plus être justement dans la « réaction ».

De fait, un peu de temps est passé, et j’ai pu reconsidérer la question. Je ne suis toujours pas un fan absolu de la haute mer, mais je sais à présent de quoi « ça » a vraiment l’air, et le cas échéant je me sais capable de recommencer. Si besoin est. Et besoin il y a.

Vous vous souvenez sans doute qu’à cause de la politique de notre ancien Président (Honni soit son nom), le français voyageur s’est vu interdire le renouvellement de son visa, et ne dispose donc plus que de trois mois pour séjourner au Brésil, un pays dont la superficie équivaut à 12,6 fois celle de la France. On murmure qu’avec la Coupe du Monde de foot et les JO de 2016, les choses vont probablement évoluer dans le bon sens, mais toujours est-il qu’actuellement le français-marin-voyageur, s’il a l’intention de profiter des 4000 km de côtes brésiliennes, a intérêt à ne pas s’arrêter trop longtemps pour respirer l’air du temps. En clair, tous les français que j’ai croisés ici se retrouvent dans la même galère : C’est marche ou crève. Sans parler de ce sentiment d’être le dindon d’une farce dont ils ne contrôlent ni les tenants ni les aboutissants.

Donc, en arrivant à Jacaré, lorsque le fonctionnaire de l’émigration m’a demandé combien de temps j’allais rester ici, et où je pensais aller ensuite, j’ai carrément annoncé mon intention de glander trois mois à la marina avant que de sortir du pays pour filer vers le Nord et les îles de Trinidad et Tobago. Entre parenthèse, et ensuite je n’y reviendrais plus, je vous signale que ledit fonctionnaire était sincèrement désolé et parfaitement conscient de la stupidité d’une telle directive. Ostraciser tout un peuple à cause des lubies migratoires d’un nain fascisant, est parfois aussi difficile à appliquer qu’à subir, et franchement ça me rassure quelque part...

Bref, telle était donc mon intention au lendemain de mon arrivée. Il ne fallait plus me parler de navigation, et puisque le Brésil ne voulait pas me donner les moyens de rester assez longtemps pour en effleurer ne serait-ce qu’une partie, j’allais vraiment en faire le minimum. A cela s’ajoute des configurations géographiques et météorologiques qui font qu’il est bien plus aisé de remonté vers le Nord, que de descendre vers le sud.

C’était sans compter sans le hasard des rencontres qui fait le sel d’une vie. Au même titre que Philippe, qui sut me faire changer d’avis quant à la Patagonie, Sylvia et Francis réussirent à me persuader que Jacaré n’était pas le Brésil et qu’il serait bien dommage que je passe à côté de ce que peut m’offrir la moitié d’un continent. L’idée c’est assez rapidement faite dans mon esprit, et en quelques heures ma décision était prise : J’allais passer au moins un an en Amérique du Sud.

Alors voilà comment les choses vont se passer. Plus ou moins. Il ne me reste que mon régulateur à faire ressouder, et je devrais être en mesure de mettre les voiles vers la fin du mois. Il me restera alors deux mois, un peu moins, pour longer toute la côte et descendre jusqu’au Rio de la Plata. Là, je serais au portes de l’Uruguay et de l’Argentine. J’y passerais l’été austral, et quand les températures commenceront à baisser sérieusement, je remonterais repasser trois mois au Brésil.

Comment les choses vont s’articuler exactement pendant tout ce laps de temps, je n’en sais rien et c’est très bien ainsi. Ce que je sais par contre, c’est que je vais finalement visiter des régions sur lesquelles j’avais fait une croix lors de mon renoncement à traverser le Détroit de Magellan. Et ça mes petits amis, ça me réjouit grandement !

Allez, pour clore cette nouvelle, je vous offre quelques photos prises hier lors d’une balade à João Pessoa.

Praça Antenor Navarro
João Pessoa est une ville religieuse, et verte.
Vue de l’Hôtel Globo

samedi 11 août 2012

Promenade

07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Brésil... Quand je tape ce nom, ça me fait encore tout drôle. C’est comme ci je n’arrivais toujours pas à me rendre compte de l’endroit où je me trouve et de ce que j’ai pu faire pour y arriver. Comme s’il s’agissait d’un produit de mon imagination, d’un rêve. Pourtant il suffit que je mette le nez dehors pour que le rêve prenne forme. Lorsque je m’assois dans mon cockpit le matin pour siroter mon café et que je jette un regard circulaire, tout me parle, me hurle, que je suis au Brésil. 


La matinée s’annonce radieuse après les pluies de la nuit. La marée est descendante, laissant à découvert des pans de vase où grouillent des crabes aux allures d’aliens. Touline observe avec attention ce balai étrange et guette l’occasion d’en choper un pas trop gros, à la carapace encore tendre et à la pince inoffensive pour jouer avec. Je la laisse à sa concentration et referme la barrière du ponton derrière moi. 



Un chemin de terre battue me sépare des maisons qui bordent le fleuve. Les villas de riches aux barbelés agressifs y côtoient les masures de pêcheurs. Le matin tôt c’est le va-et-vient des lanchas, ces pirogues-taxi, qui débarquent écoliers et travailleurs venus des villages de la rive d’en-face. Un cheval broute négligemment l’herbe du talus, je le flatte au passage et continue de longer la rive. Je réveille un chien qui termine sa nuit lové dans le sable d’une petite plage. Des pirogues de pêche sont amarrées, leurs filets recouverts par des branches de cocotiers. Un sentier semble s’écarter du bord du fleuve et s’enfoncer dans les terres. Je m’y engage.


Au loin un vol d’urubus attire mon regard. Je m’approche et découvre un gang au grand complet, occupé à nettoyer une décharge sauvage. Fossoyeurs, recycleurs, ces oiseaux sont aussi beaux en vol qu’ils sont moches sur terre. Ici, à la campagne, c’est le vautour qui fait office de pigeon. Un gros pigeon noir au cou horriblement dénudé.


Je poursuis mon chemin et bifurque vers le village en coupant à travers la prairie. Un couple d’ânes m’observe au passage. Plus loin, quelques vaches accompagnées de leurs veaux se reposent. Elles sont magnifiques ces vaches. Elles ont quelque chose dans le regard qui rappelle l’antique apis égyptienne.
Un jeune garçon perché sur son cheval, un bloc de mousse en guise de selle, survient pour les mener paitre. Dociles, elles se laissent conduire de l’autre côté de la voie de chemin de fer. 


Le train qui dessert les villages du fleuve passe en sifflant à tue-tête proclamant haut et fort sa priorité sur les vaches et sur les voitures. Il passe au ras des pare-chocs dans le fracas de son diesel et l’arrogance de son sifflet. 


Au-delà des rails, après la quatre-voies, c’est la grande banlieue de la ville. J’aperçois les tours qui ont poussées comme des champignons ces dernières années. Un troupeau traverse la route mené par des gardiens à pied... Le contraste est saisissant. 


Je rentre maintenant par la rue du village de Jacaré. Une rue pavée, unique, bordée par les petites maisons basses des pêcheurs. Il y a une église, une école, une épicerie quelques comptoirs où boire un verre de cachaça, mais c’est dans la rue que tout se passe. La rue c’est à la fois l’agora, le terrain de jeu des enfants, le lieu où l’on expose sa nouvelle voiture, où le soir venu on tire quelques chaises pour discuter avec son voisin. C’est à la fois le cœur et l’épine dorsale de la communauté. Et tout au bout de la rue c’est de nouveau le fleuve. Large, puissant, bercé par le rythme des marées. 


Je reprends le chemin de terre et me voilà à la petite barrière verte. Touline est là qui m’attend en jouant avec des feuilles mortes. Il est temps de rentrer, il commence à faire chaud. 

(Faites moi plaisir, cliquez sur les photos pour afficher le diaporama)








lundi 6 août 2012

La Playlist de ma transat

07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

La musique, au même titre que la lecture, fut pour moi d’une grande aide pour m’aider à combler ma solitude. Je gage que lorsque je réécouterai ces morceaux que j’avais enregistrés sur mon mp3, je ne pourrais m’empêcher de repenser à ces moments à la fois vides et riches. Alors si vous vous demandez ce que je pouvais bien écouter pendant ces vingt-trois jours, je vous ai mis un extrait représentatif (pour moi en tout cas) de chacun des albums que je me suis passé en boucle. Bonne audition !

samedi 4 août 2012

Voyage en Nulleparie (4)

07°02.535S 34°51.352W
Marina Jacaré, Brésil

Le jeudi 19 juillet 2012

07H20, la nuit a été excellente. Et quand je dis excellente je veux dire que ce fut de loin la meilleure nuit de toute cette traversée. Jugez plutôt.

Hier au soir, à peine le soleil s’était-il couché derrière l’horizon, que je m’installais sur mes matelas pour m’endormir presque aussitôt dans mon duvet mouillé. Vers 02H30, je me suis réveillé pour constater que : Petit un, j’avais envie de pisser. Petit deux, la mer était calme et le vent modéré. J’envoyais un peu de toile, histoire de faire quelque chose, et hop je me rendormais aussi sec jusqu’à ce matin 06H45. Le panard intégral.

Bon, bien sûr la moyenne de la nuit n’a pas été fantastique (3,55 Nds), mais le cap était parfait. Du coup, forcément, cette avant-dernière journée commence dans la bonne humeur.

07H40, Je pensais à un truc... Je ne crois pas vous en avoir parlé lors de mon séjour au Cap-Vert, mais sachez que mon portugais, même s’il s’est amélioré, laisse toujours à désirer. La faute, j’imagine, en incombe à mon grand âge, mais aussi à mon espagnol que je parle désormais couramment. En effet, le portugais et l’espagnol sont assez proches, et malgré bon nombre de faux-amis j’arrive assez bien à me faire comprendre et à comprendre (dans les grandes lignes) un lusophone. Je n’ai donc pas de raison de faire plus d’efforts pour maîtriser parfaitement le portugais... Il suffit que je lusitanise certains mots, et tout le monde comprend parfaitement ce que je dis. En fait, je parle couramment le Portugnol, si vous préférez.
J’ajouterais que le portugais du Cap-Vert est beaucoup plus hispanisant en termes de sonorité que celui de la métropole, et de même le portugais du Brésil l’est encore plus.

08H05, j’envoie tout ce qui me reste de toile à l’avant. Il s’agit maintenant de lutter contre la montre pour arriver demain avant la nuit. Je verrais ce que cela donne au point de midi, et s’il le faut je relâcherai un ris.

Elle s'en tape des horaires de marées...
10H00, je viens de regarder les horaires de marée pour Cabedelo. La pleine mer est à 17H25, ce qui veut dire qu’avant cette heure j’aurai le courant pour moi, et qu’après cette heure j’aurai à la fois le reflux et le courant contre moi... Et il y a huit milles entre le début du chenal et la marina de Jacaré. Il faut que j’en tienne compte dans mes calculs.

10H40, j’ai relâché le ris n°2, car on ne va pas assez vite (Grrrr !!!). Je sens que les prochaines 24 heures vont être stressantes. Je vais avoir les yeux rivés sur le speedo et sur la montre, car le risque de me présenter à l’entrée du canal à la tombée de la nuit est de plus en plus grand.

Allez, peut-être que les accords de guitare de Steven Rothery vont arriver à me détendre ?

12H00, c’est l’heure de faire le point. Le vent a tourné au Sud-Sud-Est, mais la vitesse reste insuffisante. Je ne peux rien faire de plus qu’attendre que le vent forcisse un peu... Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques jours déjà je sens que je vais arriver trop tard. D’ici à ce que je sois obligé de tirer des bords toute la nuit de vendredi à samedi, il n’y a pas loin.
Je dis ça mais j’ai comme l’impression que le vent se lève un peu... Allez Eole, mon pote, un dernier coup de pouce s’il te plaît ! Après, promis, je ne te demande plus rien pendant un bout de temps.

12H30, Une nouvelle espèce d’oiseau est apparue aujourd’hui. Blanc, avec la pointe des ailes noires et le bec jaune. Je crois que c’est un fou. Sinon, le petit poisson à la queue jaune est toujours là sur tribord. Ca fait combien de temps qu’il est là lui ? Un peu plus d’une semaine ? Vous vous rendez compte qu’il aura fait près de 800 milles en profitant de l’effet de la carène !

(Bon ben le vent ne se lève pas tout compte fait...)

15H00, j’ai dormi une petite heure. La mer est belle et la navigation agréablement confortable. C’est désespérant.

15H25, Porte containeur sur bâbord. C’est le vingt-et-unième.

18H00, bon ben je crois que pour une arrivée demain vendredi, c’est râpé.
A moins que les vents ne changent radicalement de direction et accélèrent franchement, il va être difficile de faire les 112 milles restant en moins de 24 heures.
Tant pis, ce n’est pas grave. Je sais être zen et accepter les choses comme elles sont. Même si je vous avoue que ça n’a pas été facile. (En fait il s’agit pour moi d’effectuer un exercice intellectuel très compliqué. Mais je vous raconterai ça une autre fois.)

A moins que je ne prenne le risque de franchir la passe de nuit (du moins à la nuit tombante), et de remonter le fleuve en suivant les waypoints que j’ai reporté sur mon lecteur de carte... On verra comment ça se passe cette nuit, et demain je prendrai une décision.

T'es belle !
19H10, je regarde Touline. Je n’en reviens pas combien elle a grandi ces dernières semaines... Pas forcément là, pendant la traversée (j’suis pas con), mais je trouve qu’elle n’a plus rien d’une « gatita ». C’est une vraie lady maintenant, qui pourra s’enorgueillir d’avoir traversé l’Atlantique avec son humain ! Sans déconner, elle est trop belle (quand elle est sage) !

20H10, Allez, on ne se laisse pas abattre et on va déguster une bonne fejoada en regardant le coucher du soleil.
Le vent est maintenant au Sud. Je ne m’étonne plus de rien de toute façon...

20H35, c’est en train de se « nuagifier » derrière moi. Je n’aime pas ça.


Le vendredi 20 juillet 2012

07H30, cette nuit ne fut pas de tout repos. Non, ce ne sont pas ces nuages en provenance du Nord que j’ai aperçu avant de me coucher qui m’ont posé problème, mais un grain en provenance du Sud-Est qui m’est tombé dessus vers 02H00 du matin. Des pluies et des rafales soudaines de vent m’ont maintenu éveillé pendant un moment, le temps de savoir à quelle sauce j’allais être mangé.
Là, il recommence à pleuvoir. J’ai réduit la voilure mais la Boiteuse se heurte encore aux vagues avec violence. De toute évidence, même si je cravachais à plus de cinq nœuds toute la journée, nous sommes bons pour une autre nuit en mer...

08H00, grosse pétole avec de la pluie. C’est à peine croyable comment le temps change vite par ici. Le régulateur est à la ramasse, je dois barrer et je suis trempé jusqu’aux os. Le jour arrive et nous voit avancer à 03 nœuds, alors que j’étais à plus de 5 nœuds il y a à peine une demi-heure. Généralement, des calmes comme ça indiquent un changement du régime des vents en direction et en force... Ou alors la fin du monde.

08H15, tiens, revoilà mon fou à bec jaune. J’ai l’impression que le courant est de plus en plus fort. La mer fait des picots.

08H17, ça-y-est ça se lève. Oh putain c’est du costaud !

C'est par là !
08H45, Celui-là n’est pas encore fini, qu’un autre grain se profile à l’horizon sur tribord avant, avec un bel arc-en-ciel sur sa bordure. Cap sur l’arc-en-ciel !

09H00, j’ai réfléchi sur la façon de procéder à mon atterrissage. Je vais naviguer droit sur Cabedelo, jusqu’à ce que je sois en vue du feu qui balise le récif, la Pedra Seca. Puis, je vais tirer des bords jusqu’à ce qu’il fasse grand jour.
J’ai deux soucis à présent : 1) Les horaires de marée. 2) Ne pas arriver trop tôt non-plus, car il y a trois heure de décalage entre moi et l’heure locale. Et j’aimerais bien trouver du monde pour me filer un coup de main lorsque j’accosterai.

Allez mon Gwen, un dernier effort, et demain on y est.

09H05, j’y pense maintenant, une autre solution serait de faire toute la route à 2,5 nœuds ! Mais c’est relativement illusoire...

10H15, encore un grain. Costaud lui aussi... J’aurais tout eu décidément...

11H00, j’ai profité d’une accalmie entre deux grains pour prendre le deuxième ris. La Boiteuse se sent mieux, et moi aussi. Et puis on s’en fout maintenant de la vitesse.

12H15, au point de midi il restait 53 milles à parcourir. J’ai retiré un seau et demi d’eau à l’avant. La mer est agitée et le vent c’est du F4. J’ai lancé la cuisson des pâtes.
Je pense que nous allons avoir des conditions bien merdiques pour cette arrivée... Plus que jamais je serre les fesses et je m’accroche à quelques images. Comme un sourire d’enfant par exemple, ou un bon cigare dégusté à la terrasse d’un café avec un jus de fruit à la main. Ou tout simplement un « Bienvenu » lancé dans n’importe quelle langue. Il sera sincère je n’en doute pas, et mon merci le sera tout autant.
Pour la première fois depuis mon départ, j’ai allumé la VHF sur le canal 16. Peut-être vais-je arriver à comprendre un bulletin météo ? Ou du moins entendre des voix humaines autres que celles de mes rêves ou la mienne. Hallucination olfactive ?

15H00, j’ai dormi une heure. La mer est toujours aussi mauvaise et j’essuie grains sur grains. J’ai du mal à tenir mon cap au 225°, mon près n’est pas assez serré.
Sous voilure ultra-réduite nous filons parfois à plus de cinq nœuds. La Boiteuse enfourne les vagues comme elle peut. A chaque fois, son étrave monte au ciel avant que de retomber avec fracas dans une grande gerbe d’eau. Mais comme la houle est très courte (on se croirait en Méditerranée), elle retombe parfois, souvent, dans la vague qui suit avec un bruit à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Le bateau s’arrête alors d’un seul coup, et tout le gréement se met à trembler sous le choc. C’est flippant.

Le Mer-Veille sonne. Un cargo me passe à moins d’un mille devant l’étrave (n°22).

15H35, en regardant Touline qui dort sur la banquette du cockpit, je repense à sa chute dans l’océan. Finalement c’est une chance que cela soit arrivé pendant la nuit et que j’ai pu la repérer grâce à ses yeux réfléchissants. Car si cela devait arriver maintenant, j’aurais toutes les peines du monde à la distinguer tellement la mer est couverte d’écume. Je viens de faire l’expérience avec une boite de conserve vide que j’ai laissé flotter dans le sillage. Et bien je l’ai quittée des yeux une seconde au bout de dix mètres... Et j’ai été incapable de la retrouver.

16H25, je déteste les paquets de cigarettes souples. C’est chiant au possible. Dès que vous voulez prendre une clope, y’en a deux autres qui tombent par terre.

18H00, au point de fin de journée, il me reste 30 milles à faire. Je devrais approcher la côté un peu au Nord de Cabedelo. J’ai beaucoup perdu en cap, et ai fait du 240° au lieu de faire du 225°. J’ai décidé que dans 15 milles je virerai de bord, soit approximativement vers 22H30. Je veux éviter de me retrouver dans la zone où les fonds remontent de 4000 à 200 mètres, car la mer pourrait grossir et il pourrait y avoir des pêcheurs.
Ensuite, je pourrais peut-être penser à dormir un peu...
Pour demain samedi, la pleine mer est à 05H22 et la basse mer à 11H54 TU. On ne peut pas dire que ça m’arrange, mais bon... Je n’ai pas trop le choix.
Sinon, le temps c’est bien amélioré. Le ciel est bleu avec quelques nuages blancs, et la mer se calme petit à petit (Je n’ose plus rien dire ou souhaiter de peur que ça me retombe sur la gueule. C’est quand même dingue !).

18H50, c’est marrant mais je sens l’excitation de l’arrivée monter en moi. Je souris, enfin je crois (je sens que ma bouche est bizarre). Même si je suis encore loin d’être amarré au ponton, le processus d’arrivée s’engagera dès que j’aurai viré de bord. Ensuite, je sais que les choses vont s’enchainer les unes aux autres... Et à l’issue de tout ça, le bonheur.

19H15, j’envoie toute la voile d’avant. Ça se pétolise.

19H30, je rêve ou bien ? Je jurerais avoir senti comme une odeur de plat cuisiné. Et ça ne vient pas de la Boiteuse.

20H15, j’ai mangé. Je commence à en avoir plein le dos du thon en boîte. Heureusement, Touline en raffole, alors on partage.
Grrr... La mer se lève à nouveau. Ca doit être à cause des fonds qui remontent. Ca tape de plus en plus et la gîte s’accentue. Du près aussi je commence à en avoir plein le dos !

Dernier coucher de soleil en mer. Celui-là je ne pouvais pas vous en dispenser.


Bon allez, Touline est maintenant enfermée à l’intérieur : Plexi fermé, ok. Feux de position allumés, ok. Eau, ok. Jus de fruit, ok. Clopes, ok. Tabac à pipe, ok. Lampe de poche, ok.
C’est bon, on peut attaquer la nuit.

20H30, porte containeur par l’arrière (n°23).

21H15, j’aperçois le halo de la ville de Joao Pessoa.

21H30, cargo par tribord avant (n°24). Le ciel étoilé est splendide.

21H40, ça y est, je vois les lumières de la terre ! Le Brésil est là !


Le samedi 21 juillet 2012

07H30, en fait, rien ne s’est passé comme je l’avais prévu (ça vous étonne ? Pas moi).
D’abord j’ai viré de bord comme prévu à 22H30, mais ce fut pour me rendre compte que je faisais cap au 70°. Impossible pour le régulateur de se rapprocher plus du vent ! Pas grave me suis-je dis. Ca ou peindre la girafe c’est pareil, du moment que je ne vais pas à la côté et que le temps passe.
Puis, vers une heure du matin et après avoir dormi un peu, je constate que nous sommes de nouveau à trente mille de la Pedra Seca. Je revire de bord, et là je me retrouve à faire cap au 250°. Là, c’est le vent qui a carrément viré plein Sud et qui m’empêche de tracer droit sur ma cible. Là encore, je me dis que ce n’est pas grave.
Peu avant 02H00 du matin, je réalise soudain que le feu arrière de la Boiteuse est éteint. Diable, voilà que les batteries sont nazes maintenant ? J’allume donc le moteur pour recharger les batteries et en même temps faire route dans le bons sens.
A 04H40, j’éteins le bourrin. Les batteries sont maintenant un peu plus pleines, je peux donc reprendre ma route à la voile... Je m’endors alors et c’est à 07H20 que je me réveille. Nous sommes à 6 milles des côtes mais encore à 18 milles de la Pedra Seca.
Un thermique souffle du Sud-Ouest, je revire donc de bord, cap au 150°.

07H50, et en plus il pleut !

Joao Pessoa
08H00, je viens de transférer les derniers 20 litres de gasoil qui me restaient. J’ai maintenant devant pour environ 10H30 d’autonomie. La suite, vous la devinez, on va faire le reste de la Transat au moteur ! Parce qu’à un moment il faut savoir dire stop ! Merde !

08H45, je distingue la côté maintenant. La mer est devenue verdâtre.

09H10, putain ! Le vent est pile au 180°. Fait chier !

09H30, a priori je devrais atteindre la Pedra Seca vers 13H30-14H00, peut-être plus tôt, on verra. Ce qu’il y a de bien, c’est que je vais arriver avec la marée montante.

10H55, cargo sur tribord. N°25 !

11H30, on se traine, je relâche le ris n°2.

11H50, j’arrive enfin à avoir un cap correct ! Le vent a tourné un peu à l’Est. Je vois les immeubles de Joao Pessoa.

12H43, Oups ! J’évite de justesse un casier. Fini la navigation allongée ! Maintenant on se lève et on ouvre les yeux. Et on met un teeshirt et un chapeau, parce qu’il fait très beaucoup soleil.

Du vert, enfin...
13H00, avec les jumelles, j’arrive à distinguer des forêts et des champs sur la côté... C’est dingue comme tout est vert !

13H30, j’ouvre le guide du Brésil pour me remettre en mémoire la configuration du chenal et du fleuve. C’est presque inutile, car j’ai si souvent imaginé ce moment que je connais la carte par cœur.
L’eau est franchement vert claire maintenant. Opaline je dirais.

14H00, ça-y-est je vois la Pedra Seca... Et l’embouchure du fleuve Paraíba !

Tout s'inverse
14H10, la première bouée du chenal est en vue. Ne pas oublier que nous sommes dorénavant en zone A et qu’ici le rouge se laisse à tribord et le vert à bâbord. Je vois la rouge, la verte... C’est tudo bom !

14H20, je remballe le foc. Je suis dans le chenal maintenant, et une vedette à moteur sort de l’estuaire alors que j’y entre. C’est marée montante, mais on voit parfaitement la mer se briser sur les récifs, à gauche et à droite du bateau.

14H45, je viens de réaliser... Là, devant moi... Des COCOTIERS !!!


15H00, ça-y-est je suis sur le fleuve. J’ai abattu ma Grand-Voile et avance à 3 nœuds. Je longe le port de commerce et de pêche de Cabedelo.

Ferry
15H40, un ibis me passe juste devant l’étrave. Des pêcheurs sur leurs barques ramassent leurs filets... C’est que du Bonheur avec un B majuscule.

15H45, au détour d’un méandre j’aperçois les mâts des bateaux de la marina. Il est temps d’enfermer Touline.

15H50, j’entends qu’on me hèle. Ce sont les pêcheurs que je viens de croiser qui gueulent parce j’ai embarqué leur filet !
Ben voyons, il ne manquait plus que ça pour que le tableau soit complet ! Cette transat ne pouvait décidément pas se terminer autrement que par un énième emmerdement.
Pendant que l’un d’eux plonge sous la coque pour dégager son filet, je me répands en excuses. L’eau est boueuse, mais le bonhomme semble avoir l’habitude... Des bateaux à moteur luxueux passent à fond la caisse sans se soucier de ceux qui travaillent. Ma contrition doit certainement les étonner et leur faire plaisir quelque part.

16H15, je repars. Alors que j’approche à vitesse réduite du ponton d’accueil, je distingue quelques silhouettes. L’une d’elle crie mon nom, c’est Séverine.

16H40, la Boiteuse est amarrée au ponton, et j’éteins alors le moteur tout en notant l’heure qu’il est. Il est 16H40, et j’ai quitté le Cap-Vert il y a exactement 23 jours et 25 minutes. Sans cette histoire de filet j’aurais pu faire pile vingt-trois jours ! 

Ça y est, je suis arrivé au Brésil...

A bon port...
Vingt-trois jours et vingt-cinq minutes, pour effectuer une traversée de 1848 milles. On n’est pas là dans des records, qu’ils soient de vitesse ou de lenteur, on dira juste qu’on est dans les temps. Quels temps ? Je ne sais pas. Je vous avouerai que deux semaines après mon arrivée, je n’ai toujours pas digéré le truc.... J’ai eu ma part de galère, quelques joies aussi. J’ai fait un truc pas banal j’en conviens, mais en même temps je l’ai fait plus par nécessité que par défi. Il n’y a aucune notion de challenge dans cette histoire, car enfin il fallait bien que je la traverse cette grande mare si je voulais mettre les pieds sur ce continent... Donc, la légitime fierté qui logiquement devait être la mienne, tarde à venir. Je n’ai pas l’impression d’avoir réalisé un exploit, j’ai juste fait un truc qui est cohérent avec ce que je suis en train de faire de ma vie. Avec ce que je suis tout court.

De fait, lorsque je me regarde dans la glace, je ne me rengorge pas. Je me dis juste que tout cela est normal.


Bon, maintenant que j’ai terminé de vous raconter cette histoire, je vais enfin pouvoir passer à autre chose. Ma Boiteuse a besoin de soins, et moi j’ai besoin de réfléchir à la suite de mon voyage. Et puis je vais surtout profiter de mon nouveau cadre de vie... Au bord du fleuve Paraíba, bercé par le rythme des marées. A regarder des couchers de soleil tout en fumant un cigare... Pile comme je l’avais rêvé.

Le cocotier, tout un symbole pour moi
Touline s'éclate. pur une fois qu'elle voit de l'herbe...



Franchement, ça le fait non ?
Oups ! Desculpe !
Manque plus que le cigare.
Bon, traverser l'Atlantique, ça c'est fait...